Lili Klondike, Tome 2

— Il est encore loin, le lac Bennett? demande-t-elle enfin pour éviter de sombrer trop vite dans le sommeil.

Bien emmitouflée, la tête blottie au fond de son capuchon, elle tend l’oreille afin d’attraper les quelques mots que ces hommes pourraient lui offrir en guise de réponse. Mais elle n’entend rien. Elle insiste donc :

— Nous sommes à combien d’heures de marche du lac?

Encore une fois, pas une syllabe ne vient troubler la quiétude de la nuit. Rosalie soupire et rejoint les Indiens dans leur mutisme. Pendant un long moment, on n’entend que le grincement des arbres, que la furie du vent qui balaie le sommet dégarni. Et soudain, des voix d’hommes s’élèvent, se rapprochent, soufflées jusqu’à elle par la bourrasque. Rosalie reconnaît des mots précis, prononcés dans sa langue maternelle. Elle sourit et bondit sur ses pieds, anticipant avec plaisir la compagnie de Canadiens français. Deux silhouettes surgissent alors du néant, marchant d’un pas alerte dans la lueur argentée.

— Bonsoir! leur lance-t-elle, joviale. Venez donc vous réchauffer près de notre feu.

Puis, les voyant qui accélèrent dans sa direction, elle ajoute :

— Vous pouvez camper avec nous si vous voulez.

— C’est pas de refus, mademoiselle Lili.

L’homme la rejoint en quelques enjambées et il lui tend la main.

— Ça fait plaisir de vous revoir. Hein, Théophile, que ça fait plaisir de retrouver une fille de par chez nous?

— Certain! répond ce dernier. Comment allez-vous, mademoiselle?

Rosalie se demande comment ils ont fait pour la reconnaître. Son visage est entièrement dissimulé par les foulards, et la fourrure de son capuchon lui descend jusqu’aux yeux. Il est vrai, cependant, que les Canadiennes françaises ne sont pas légion sur la piste. Rosalie a peut-être servi les deux hommes au restaurant de Mme Gagnon sans savoir qu’il s’agissait de compatriotes. De son côté toutefois, elle n’arrive pas à les identifier. Ils sont vêtus du traditionnel mackinaw et de mocassins, comme près de quatre-vingts pour cent des hommes qu’elle a rencontrés depuis son arrivée dans le Grand Nord. Heureusement, l’un des deux lui évite davantage d’embarras en posant une question qui élucide le mystère.