Un amour sans rémission / Le Mariage du Dr Gabi Graham

Un amour sans rémission (de Margaret O'Neill):

Machinalement, elle remua, faisant tinter la petite cuillère d'argent contre la porcelaine bleue, mais sans penser à sucrer le café.

— Il y a quelque chose qui ne va pas ? s'enquit-il. Tu as l'air embêtée.

— Embêtée, voilà, je suis embêtée, lâcha-t-elle d'une voix glaciale. Et perplexe aussi.

— Que se passe-t-il ? Tu ne veux pas me le dire plutôt que de ronger ton frein en silence ?

— Je ne sais pas très bien par où commencer, répondit-elle d'un ton buté.

— Alors, dis la première chose qui te passe par la tête. A quoi ou à qui tu penses en ce moment précis ?

— A Alec, inventa-t-elle.

— Et qu'est-ce qui t'intrigue au sujet d'Alec ?

Il était impossible de savoir s'il était surpris par la réponse. En tout cas, il n'en montra rien.

— Vous êtes amis, mais il y a autre chose, je le sais, et tu me dois une explication, n'oublie pas. Si cela peut te mettre à l'aise, sache qu'il m'a invitée à dîner l'autre soir...

Le visage de Jeremy perdit d'un coup son expression impassible.

— De toute façon, je préfère que tu sois au courant...

— Mais au courant de quoi, grands dieux ! Tu ne vas pas recommencer tes mystères !

Elle eut le sentiment qu'il pesait le pour et le contre avant de se lancer.

— En fait, Alec tenait beaucoup à ce que j'examine ta cicatrice et que je lui dise si je pouvais intervenir. Seulement, tu le connais, il avait peur que tu ne le prennes mal et il m'a demandé de ne rien dire...

Il s'interrompit, certain qu'avec son esprit vif, Veronica était en train d'assembler les différentes pièces du puzzle.

— Les plans d'Alec sont tombés à l'eau, reprit-il, quand il a appris que nous nous connaissions.

— Je ne vois pas le rapport.

Il la regarda en souriant.

— C'est pourtant simple, Veronica. Je ne peux avoir avec toi de relations purement professionnelles, et Alec l'a compris...

Instinctivement, elle se raidit en devinant la suite.

— Je sais depuis le premier jour, depuis que nous nous sommes revus dans le parc, que je suis toujours attiré par toi. Rien n’a changé depuis le lycée.

Elle décida d'ignorer la déclaration qu'elle venait d'entendre.

— Sauf que les rôles sont peut-être moins déséquilibrés qu'à l'époque..., ajouta-t-il.

— Ils sont carrément inversés, tu veux dire ! s'écria-t-elle, saisissant l'occasion qui lui était enfin fournie de dire quelque chose. Tu as tous les atouts en main. Et moi... Moi, je suis défigurée.

— Mais C'est faux !

Mais en la voyant soudain dérober son regard, il comprit qu'elle était incapable de voir la situation autrement. II continua de parler pour lui-même.

— Quand Alec m'a parlé de son projet la première fois, j'ai cru qu'il était amoureux de toi. Cela m'aurait donné une bonne raison de garder mes distances.

Pour toute réponse, elle leva les yeux au ciel. .

— J'ai compris assez vite qu'il n'en était rien, reprit-il, et j'ai perdu du même coup le seul garde-fou qui aurait pu me retenir... J'ai cessé de lutter contre mes sentiments...

Sa voix n'était plus qu'un murmure.

— Et puis, tu as tellement changé.

Il lui sourit et regarda la pendule sur le manteau de la cheminée.

— Il se fait tard, déclara-t-il en se levant brutalement, il faut que je rentre.

— Mais...

— Je dois vraiment y aller.

Il se pencha en avant, lui prit le visage à deux mains et, après avoir soulevé la longue mèche de cheveux qui lui barrait la joue, déposa un baiser à l'endroit de sa cicatrice.

— Alec avait raison, murmura-t-il, rien n'est possible avant que nous ayons trouvé la solution à ce problème. Jusque-là, il n'y aura pas d'histoire sérieuse entre nous.

Lentement, il lui caressa la joue.

— Et moi, je ne suis intéressé que par le mariage...

— Le mariage ! répéta-t-elle en tombant des nues.

— Oui, le mariage.

Il l'embrassa sur le bout du nez.

— Que veux-tu ? Avec les années, je suis devenu vieux jeu. A mes yeux, deux personnes qui s'aiment doivent s'engager dans une union bénie devant la terre entière. C'est aussi simple que cela.

Sa voix était veloutée comme ses yeux bleu marine qui avaient pris une couleur encore plus profonde.

Une union bénie ! La proposition était tellement énorme qu'elle croyait rêver.

Il se tenait toujours face à elle, avec cet air calme et tranquille de ceux qui ont prononcé des paroles définitives et savent qu'ils peuvent engager l'avenir.

Mais elle ? se demanda-t-elle, prise de panique. Que pouvait-elle promettre aujourd'hui ? Depuis son accident, elle avait multiplié les histoires de passage, sans lendemain, écartant par principe tous les hommes qui auraient pu s'attacher et vouloir rester.

Mais avec Jeremy, s'objecta-t-elle, c'était différent. C'était plus qu'une simple attirance physique, elle en était certaine, mais elle était incapable d'imaginer la moindre relation durable entre eux. De cela aussi, elle était certaine.

Quant à l'épouser...

— Il faut que tu me laisses un peu plus de temps, murmura-t-elle, je ne suis pas prête.

Il semblait avoir prévu cette réaction.

— Je te laisserai tout le temps dont tu as besoin, mon amour. Sache seulement que je suis là et que je t'aime.

Quelques secondes plus tard, elle entendait la porte du vestibule se refermer sur lui.

Comme la fois précédente, elle écouta le bruit des pas décroître dans le couloir, puis elle se posta derrière la fenêtre du salon et l'observa qui marchait sur le trottoir.

L'instant d'après, la Range Rover démarrait et disparaissait dans la nuit.