La Porte des remparts sublimes, Tome 1

Deux charmeresses surgirent du couloir délimité par les tentures et s’avancèrent sur l’estrade. Apostrophées et sifflées un long moment par les spectateurs, elles attendirent en souriant que le silence redescende sur la salle.

« Asohinn et Mervane, deux des charmeresses les plus fameuses d’la maison, précisa Grab’hor. J’les ai connues toutes les deux, une seule fois chacune, hein, ça m’a coûté les yeux d’la tête, mais j’peux t’dire qu’les deux en valaient le coup ! Pas vrai qu’elles sont belles ? »

Belles ? Leurs vêtements transparents ne dissimulaient rien de leurs corps, et, si on mesurait leur beauté au chambardement physiologique qu’elles provoquaient chez Fredeg, frissons, tremblements, accélération intempestive du rythme cardiaque, frémissements soudains au visage et au bas-ventre, elles étaient les plus belles femmes qu’il ait jamais vues. À vrai dire, l’occasion ne s’était pas présentée d’en admirer d’aussi peu vêtues, et la contemplation de ces corps féminins révélés à trois ou quatre pas de lui le plongeait dans un état proche de l’hébétude. Ses yeux volaient comme les indécis, ces oiseaux éphémères du Franezer dont on disait que, face aux branches d’un cerisier garnies d’appétissants fruits rouges, ils passaient frénétiquement de l’un à l’autre sans jamais se décider à en choisir un, si bien qu’ils finissaient par tomber d’épuisement et agoniser dans l’herbe. Fredeg souffrait du même mal de la profusion, incapable de fixer son attention sur une partie ou l’autre des deux femmes, comme s’il voulait explorer chaque détail sans cesser de les regarder dans leur ensemble. Elles étaient différentes des hommes, ô combien ! plus fines, plus délicates, plus fragiles ; les courbes dominaient là où, s’examinant un jour dans la psyché de sa chambre – orgueil insensé ! avait grogné dame Anela qui l’avait surpris face au miroir –, il avait observé chez lui des aspérités et des angles disgracieux, mâchoires, menton, pointes des hanches, reliefs des côtes, clavicules, genoux… La peau des charmeresses enrobait leurs os comme pour les empêcher de blesser. Leurs poitrines l’émerveillaient. Il ne se souvenait pas d’avoir approché quelque chose d’aussi envoûtant que ces éminences de chair dont les légères oscillations accompagnaient chacun de leurs mouvements. Elles ondulaient puis se tendaient comme des offrandes vers les mains implorantes des hommes qui se pressaient en contrebas, agités par une puissante houle qui tantôt les poussait vers l’estrade et tantôt les en éloignait.