Les Audacieuses, Tome 5 : Un pari sur l'amour

Harriet fulminait en retournant à la salle de bal. Comment osait-il ? Comment osait-il la défier de la sorte ? Et quel défi ridicule ! Eh bien, elle lui montrerait…

Soudainement, elle se retrouvait à nouveau en train de regarder les danseurs tourbillonnant sur la piste et son estomac se noua. Personne n’invitait jamais Harry à danser. Elle n’était qu’une fille transparente à lunettes, qui se cachait dans les coins sombres et préférait mourir plutôt que de se faire remarquer.

Comment diable allait-elle prouver le contraire ?

Une vague glacée la traversa, suivie par une intense bouffée de chaleur alors qu’elle réalisait ce qu’elle venait d’accepter. Oh, juste ciel.

En titubant légèrement, elle se déplaça vers le mur pour s’y adosser. Tout semblait tourner devant ses yeux, et pas seulement les danseurs.

Harriet, espèce d’imbécile !

Elle allait perdre ce pari, et ensuite… et ensuite… Jasper l’emmènerait au pavillon d’été et…

Les sensations de chaud et froid s’intensifièrent alors qu’une étrange douleur remuait dans son bas-ventre. Oh, non. Elle ne voulait pas que cela arrive, se dit-elle. Pourtant, lorsqu’elle s’imagina dans les bras de Jasper — qu’elle imagina ses mains et ses lèvres sur son corps — quelque chose en elle brûla d’impatience. Le souffle court, elle sentit la panique monter dans sa poitrine. S’il la touchait de cette façon, elle serait perdue. Elle aurait à nouveau seize ans, serait folle amoureuse de lui et lui donnerait le pouvoir de la détruire complètement.

Hors de question.

— Jérôme !

Harriet cria presque son nom en traversant rapidement la salle pour le rejoindre. Bonnie, comme à l’accoutumée, se tenait à ses côtés.

Harriet se demanda si Jérôme était le seul à ne pas réaliser que Bonnie était amoureuse de lui. Pauvre Bonnie… encore une victime malheureuse de l’amour. Oh, pas tout à fait, puisque Bonnie ne semblait pas avoir saisi la réalité. Jérôme ne l’aimerait jamais, et il était improbable qu’il l’épouse. Harry connaissait Jérôme aussi bien qu’elle connaissait son propre frère, et Bonnie n’était tout simplement pas son genre. Elle était trop audacieuse, trop vivace, un aimant à problèmes. Le vilain diable tirerait seulement le meilleur de sa compagnie, s’amuserait avec elle tant que c’était possible, puis l’abandonnerait et Bonnie serait dévastée. Oh, Jérôme ne profiterait pas de la situation. Il ne se comporterait pas comme un mufle, il ne remarquerait tout simplement pas les dégâts qu’il avait causés. Comme la plupart des hommes.

— Harry ! s’exclama Jérôme avec un grand sourire.

C’était un écho du sourire de Jasper, mais son nez cassé lui donnait un air un peu plus canaille que son frère, dont les traits atteignaient la perfection de ceux d’un dieu grec.

— Vous amusez-vous ?

— Êtes-vous ivre ? répondit Harry en fronçant légèrement les sourcils.

— Moi ? répondit-il d’un air offensé. Comme si j’allais faire cela, lors d’une fête organisée par ma famille. Je n’ai rien bu d’autre que le cocktail de fruits, exactement comme je l’avais promis à mère.

Bonnie ricana à ses côtés, et ils échangèrent un regard avant d’éclater de rire. Harriet secoua la tête.

— Bon, peu importe. Vous devez danser avec moi, demanda-t-elle brusquement.

Jérôme se redressa, son expression devint immédiatement sérieuse.

— Vous voulez danser ? répéta-t-il.

Il la regardait comme si elle venait de lui annoncer vouloir exécuter la danse des sept voiles, et non un quadrille ou n’importe quelle autre danse que les invités s’apprêtaient justement à exécuter.

— Oui.

— Avec moi ?

Il avait l’air si ébahi qu’Harriet sentit son énervement grimper.

— Oui, répéta-t-elle en s’efforçant de rester calme.

Jérôme répéta la demande en entier, comme s’il avait besoin d’en être certain.

— Vous voulez danser… avec moi ?

— Oui, je vous en prie, Jérôme, si cela ne vous tue pas, répondit Harriet en se demandant si elle allait devoir le supplier.

Était-ce donc une requête si terrible ?

— Mais vous ne dansez jamais, Harry.

— Eh bien, ce soir, si.

Fatiguée de cet échange sans queue ni tête, elle saisit la main de Jérôme et le traîna sur la piste.

Une fois en position, Harriet aperçut Jasper la regardant et elle se souvint qu’elle était supposée passer un bon moment. Elle s’efforça d’afficher une expression ressemblant à de la joie sur son visage et sourit à Jérôme.

— Est-ce que tout va bien, Harry ? demanda Jérôme d’un air inquiet. Avez-vous… avez-vous bu du cocktail de fruits ?

— Je vais parfaitement bien, je vous remercie, répondit Harriet en souriant si largement que son visage lui faisait mal. Dites-moi, Jerry, pourriez-vous convaincre quelques-uns de vos amis de danser avec moi aussi ?

Jérôme cligna des yeux, muet de stupéfaction, ce qui était tout aussi bien puisque la danse l’éloigna d’Harriet, et un intervalle de plusieurs secondes s’écoula avant qu’ils ne fussent à nouveau réunis. Harriet l’imaginait bien capable de hurler une réponse à travers la salle. La subtilité n’était pas son fort.

— J’imagine que oui, répondit-il en plissant les yeux. Pourquoi ? Que se passe-t-il ?

— Rien, répondit Harriet en tâchant de conserver son sourire.

Elle pouvait sentir que Jasper l’observait, elle avait l’impression d’avoir l’empreinte brûlante de son regard dans le cou.

— J’ai simplement décidé qu’il était temps d’arrêter de rester assise dans un coin, voilà tout.

— À la bonne heure !

Jérôme frappa ses mains l’une contre l’autre, un air satisfait sur le visage.

— Il était temps ! poursuivit-il. Je pourrais sans doute vous trouver des partenaires de danse. Cholly, pour commencer ; il me doit une faveur.

Harriet soupira.