L'héritage des Wihteoaks

A la mort de Philippe Whiteoak, au début de la guerre, Nicolas et Ernest étaient revenus d’Angleterre habiter Jalna. Pour cette maisonnée de femmes solitaires et de petits garçons, leur présence fut comme un rempart contre le monde et leur avait apporté l’impression de la solidarité familiale. Ils trouvèrent leur vieille mère qui, privée du plus jeune de ses fils, désirait ardemment sentir à ses côtés ses frères plus âgés. Il y avait Meg qui, ayant perdu un père tendre et indulgent et dont le frère préféré était constamment en danger en France, était prête à jeter ses bras autour de leur cou et à goûter la sécurité de leur présence. Il y avait Mary, la veuve de Philippe, qui devait bientôt sacrifier sa vie à son enfant, qui accueillait toute tremblante leur rassurante présence masculine. Leur retour avait marqué un succès pour tous deux tant au point de vue familial que financier. Ces dernières années, les revenus des deux frères avaient été cruellement diminués autant par leurs extravagances passées que par leur mauvaise administration. La vie à Jalna ne leur coûtait à peu près rien, Nicolas s’était tellement habitué à présider la table en face de Meg tandis que sa mère était placée à sa droite, que la pensée de céder cette place à Renny, devenu le possesseur de la maison à la mort de son père, n’avait point effleuré son cerveau pas plus qu’elle n’avait pénétré dans celui de sa vieille mère qui louchait en ce moment vers le plat de volailles rôties qu’il découpait habituellement avec tant d’art. Les morceaux tendres lui revenaient de droit ainsi qu’à Ernest et à Meg tandis que les plus coriaces, noyés de sauce, étaient distribués aux trois garçons dotés de dents solides. Ernest, placé à la droite d’Adeline, estimait cet arrangement admirable, d’autant plus qu’il occupait la place de Nicolas lorsqu’une attaque de goutte retenait celui-ci dans ses appartements.