Le saut dans le vide

Ce jour-là, l'anniversaire de mes six ans, j'ai découvert de nouveau que le monde n'était pas comme je le voyais, mais comme ils voulaient le voir. J'ai appris aussi à taire ce que je savais.

Mais il ne s'agit pas de ça. Le fait était que j'avais une petite soeur. J'avais tout juste un an, j'étais à peine habituée à la vie et elle était déjà là. Ils me la montrèrent, une tête rouge emmaillotée de rose, et ils me dirent que c'était ma petite soeur et qu'elle s'appelait Elsa.

"Ah bon", ai-je dit et je me suis retournée pour jouer, je ne sais pas avec quoi, peut-être bien des cubes, en tout cas quelque chose de plusieurs couleurs.

Oui, j'ai dit "bon". Pas "flon" par exemple, en bavouillant, mais "bon". Je savais déjà parler, et je ne vais sûrement pas en avoir honte ici. Je me suis assez tenue à carreau. Quand les gens peuvent me voir, je m'adapte, mais ici, j'écris pour moi. Et, peut-être, pour Sal.

Tout en observant la tempête printanière, j'ai dit : "Maman assez enfant."

Bon, ce n'est pas une façon de parler irréprochable, mais je m'en souviens mot pour mot et je sais encore exactement ce que je voulais dire par là : maintenant, ça suffit comme ça. D'accord, je tolérerai celui-là.

D'ailleurs, au début, c'était supportable. D'avoir une petite soeur, je veux dire. C'est plus tard que je me suis demandé pourquoi ils l'avaient appelée tout simplement elle Elsa et moi Cornélie, ce qui me valait le diminutif Nelie à l'école et Cor à la maison ; avec un nom pareil, on cherche les difficultés, non ? Ils en avaient peut-être tiré la leçon ayant remarqué que mon prétendu joli prénom était toujours enlaidi, ils voulaient l'épargner à ma soeur. Mais ça ne m'avançait à rien. Pour moi, c'était trop tard.