L'elfe au dragon, tome 6 : Le crépuscule des magiciens

Kendhil n'avait pas perdu connaissance. Pourtant, ce qu'il éprouvait était plus épouvantable que s'il venait d'émerger d'un gouffre de ténèbres. De cet étourdissement, dont il n'aurait su évaluer la durée, il gardait une sensation atroce, comme si la main d'un spectre de l'Occulte s'était enfoncée dans sa poitrine pour lui arracher le coeur. Il lui en restait la sensation oppressante que sa respiration ne faisait qu'alimenter un immense vide intérieur.

Il se redressa, suffoquant, les yeux écarquillés, une main crispée sur sa tunique violette de soldat de la garde de Khorfeu. Que s'était-il passé ? Avait-il réellement été victime d'un de ces êtres de l'Entre-deux-mondes qui, à la faveur de certains événements, pouvaient surgir dans l'Ici, et voler un peu de cette énergie de vie dont ils étaient si cruellement privés ? Un souvenir s'imposa à l'esprit du jeune elfe : une silhouette penchée sur lui, celle d'un individu enveloppé dans un manteau brun, encapuchonné, sans visage.

Puis celle d'une main, doigts écartés, s'approchant de sa gorge alors qu'il gisait dans ce fourré, paralysé par une douleur atroce dans la jambe gauche. Kendhil entendait encore dans sa tête la supplique qu'il avait alors articulée : «Non, pas ça ! S'il vous plaît. Ne me volez pas la perle...»

Il porta vivement la main à son cou, glissa ses doigts sous son plastron de fer, chercha sur sa nuque la chaîne d'argent... Elle n'y était plus ! Le voleur avait emporté la perle bleutée contenant une parcelle d'âme de Mézandion. Ce Magicien, maudit par son ordre, avait élevé Kendhil dans les premiers âges de l'enfance, l'avait ensuite confié aux elfes Sentinelles d'Oriadith puis, bien des années après sa mort, il lui avait laissé ce talisman grâce auquel il pouvait l'aider depuis l'au-delà. C'était un bijou sans grande valeur marchande, mais pour Kendhil une perte considérable, puisqu'il lui permettait de recevoir de Mézandion des avertissements et des conseils, outre quelques dons de magie, dont celui de guérison.

Le jeune Sentinelle leva les yeux et vit au travers du feuillage des bouleaux, que le ciel était encore plus noir et tourmenté qu'avant sa chute de cheval. Une pluie battante dégringolait sur lui, s'insinuant sous ses vêtements, achevant de lui glacer le corps et l'âme.