Le chemin le moins fréquenté

"La vie est difficile." C'est par cette affirmation simple mais tellement vraie que Scott Peck commence son livre. En 1978, ce psychiatre américain déjà connu, ne se doute pas encore qu’il s’apprête à sortir un des premiers livres de développement personnel, bien différents de ceux plus modernes qui pullulent aujourd'hui sur les étagères des librairies ou des grandes surfaces. En quatre grandes parties, l’auteur nous invite à abandonner ou revoir nos croyances adoptées depuis l’enfance. Tout un programme !

La première partie sur la discipline est celle qui m’a semblé la plus concrète. Le psychiatre revient sur les grands fondamentaux de l’existence : la nécessité de la douleur pour avancer, d’affronter les problèmes plutôt que de les éviter, de retarder la satisfaction, de s’engager pleinement envers la vérité et d’avoir l’exigence de l’honnêteté. Dans cette partie, Scott Peck donne de véritables clés pour transcender sa nature et atteindre la meilleure version de soi même.

La seconde partie est dédiée à une thématique aussi vaste que vague : l’amour. L'auteur commence par tenter de définir les contours de ce qu’il entend par amour, à savoir : “la volonté de se dépasser dans le but de nourrir sa propre évolution spirituelle ou celle d'autrui.” Là encore, il nous pousse à revoir notre conception de l’amour, expliquant que si “tomber amoureux” est involontaire et temporaire, l'amour véritable, lui, est un acte volontaire, transcendant les émotions éphémères, avec l'engagement et le désir de se dépasser. L’amour, c’est autant respecter l’individualité de l’autre, que de savoir le critiquer pour le bien de son évolution. La vision de l’amour de l’auteur, intellectualisée, est très intéressante et empreinte de spiritualité.

La troisième partie aborde un sujet plus complexe : la religion. Scott Peck aborde ce thème à travers le prisme de la spiritualité, qu’il oppose à la science. Le vrai chemin de la sainteté passe par la remise en question systématique, incitant à mettre délibérément en doute la validité de nos croyances et enseignements. La science a tendance à dire que ce qui est difficile à comprendre n'existe pas, limitant ainsi son champ d'observation et de compréhension. L’église, au contraire, accepte les miracles comme des actes divins. Pour illustrer ses propos et montrer les différents visages de la foi, Scott Peck utilise des exemples ou anecdotes et retranscrit des bribes de séances avec trois de ses patients.

La quatrième partie est finalement la moins concrète et la plus abstraite du livre : la grâce. Ce sont tous les miracles du quotidien qui échappent à la raison, et que l’on peine à expliquer de manière rationnelle. En abordant une thématique aussi complexe et spirituelle dès la fin des années 70, Scott Peck assoit encore davantage son statut d’avant-gardiste. Mais parce qu’il est justement trop en avance sur son temps, cette dernière partie apparaît peu structurée et un peu trop fourre-tout à mon sens : Jung et son inconscient “collectif” côtoie ainsi le paranormal, le mythe Grec d’Oreste ou les traditions théologiques de l’émanence (dieu extérieur) et de l’imminence (Dieu intérieur). Ce n'en est pas moins intéressant mais infiniment moins accessible et digeste que le reste de l'oeuvre.

Scott Peck livre également un regard lucide et moderne sur le courage nécessaire pour exercer le métier de psychothérapeute. Dans chacune des parties, l’auteur et psychiatre n’hésite pas à revisiter en filigrane sa propre expérience, et à témoigner de ses réussites comme de ses échecs. Ce point donne beaucoup d’humanité et d'humilité au livre et à l'ensemble de ses propos.

Bien plus qu’un simple livre de développement personnel ou de psychologie, “Le chemin le moins fréquenté” est une véritable bible de l’existence qui ne semble pas avoir subi les affres du temps tellement tout est encore si vrai. Dans un style plutôt accessible, Scott Peck a réussi à théoriser et décortiquer des concepts fondamentaux qui invitent le lecteur à réfléchir sur l’essence même de la vie. L’évolution spirituelle à laquelle il nous convie est certainement le voyage d’une vie et ce livre fait figure de référence pour s'armer et se préparer à ce voyage. Car s’il est évident que l’on peut se contenter d’exister, on “apprend à vivre tout au long de sa vie” disait Sénèque.

Un livre qui nous permet d'affronter ce qui nous fait souffrir dans notre vie. L'auteur est un psychiatre qui s'appuie sur les difficultés rencontrées par ses patients afin de proposer un chemin vers une meilleure connaissance de soi et développer sa force intérieure.