Le Dit de la Terre plate, tome 2 : Le Maître de la mort

A cet instant, le corps de Simmu se banda vers le haut, devint gris et cria comme si un couteau lui avait été plongé dans le ventre. Des larmes coulèrent à la commissure des paupières, de la sueur suivit les larmes et la barbe se mit à s’effranger sur la mâchoire. Kassafeh se raidit d’inquiétude ; dans cet état, elle assista à d’autres choses : le contour du visage et la physionomie de Simmu se modifièrent ; la peau et la senteur même de Simmu se modifièrent... le bourgeonnement à l’intérieur de sa chemise, sans équivoque mais impossible, et même la tête rejetée en arrière, mystérieusement transformée, les traits douloureux... féminins.

Cette transformation fut terrible. Il y avait longtemps qu’elle n’avait été pratiquée, tant que Simmu avait adhéré à la forme physique masculine. Et l’événement fut terrifiant à contempler, les convulsions de douleur et de quasi-plaisir suivies d’une souffrance plus profonde et plus horrifiante qui se chassaient l’une l’autre sur le corps de Simmu – tantôt homme, tantôt femme.

Kassafeh n’avait pas oublié ce qu’elle avait pris pour une illusion de féminité démoniaque que Simmu avait endossée dans le Jardin des Filles Dorées. Mais elle ne l’avait jamais parfaitement vue, ne l’avait jamais parfaitement comprise... de même qu’elle n’avait absolument pas compris son mari. Or, tout en étant effrayée par la vue de cette métamorphose, elle fut horriblement outragée par celle-ci. Car elle sentait que Jirek le magicien avait stimulé les passions engourdies de Simmu alors qu’elle-même y avait échoué. Et pouvait-elle manquer de constater que Simmu, en tant que femme, était plus vitalement belle que Kassafeh ? Le mari peu aimant pouvait donc bien devenir, en plus, une rivale.

Kassafeh se retourna et s’enfuit, refermant avec précipitation derrière elle les portes de la bibliothèque, et ce avec un calme frénétique et furtif.

Simmu était son ennemi. Elle le détestait. La haine surgit brutalement, car elle était sevrée de drame autant que d’amour.

Elle fila silencieusement en haut des escaliers silencieux du palais, vers les appartements qu’avait reçus Jirek. Elle essayait, en fait, de battre de vitesse la femme inconsciente dans la bibliothèque.