L'emprise des flammes

Prologue

Dieu merci, il dormait encore.

Se réveiller pour découvrir qu'elle était dans le lit de Jay Burgess était suffisamment embarrassant en soi pour qu'elle n'ait pas en plus besoin de le regarder dans les yeux. En tout cas, pas avant d'avoir eu le temps de se reprendre.

Avec autant de précautions que possible, elle avança centimètre par centimètre vers le bord du lit, se glissant hors des draps tout en essayant de ne pas les soulever en même temps. Une fois arrivée à destination, elle jeta un coup d'œil par-dessus son épaule. Le souffle de l'air conditionné qui s'échappait de la ventilation du plafond était glacé. Cela lui donna immédiatement la chair de poule. Mais le froid ne semblait pas gêner Jay, bien qu'il fût nu, le drap ne le couvrant que jusqu'à la taille. Elle posa délicatement les pieds au sol et se leva.

La pièce pencha. Pour éviter de tomber, elle s'appuya instinctivement sur le mur. Le cognement sourd qui s'ensuivit aurait aussi bien pu être le claquement d'une cymbale compte tenu de l'écho qui se répercuta dans la maison silencieuse. Ne s'inquiétant dorénavant plus de réveiller son partenaire mais plutôt de savoir comment elle avait pu boire autant la veille, elle resta ainsi, à prendre de profondes goulées d'air, le regard posé sur un point fixe jusqu'à ce qu'elle retrouve son équilibre.

Miraculeusement, sa maladresse n'avait pas réveillé Jay. Repérant ses dessous, elle avança sans bruit pour les attraper, puis fit le tour de la pièce sur la pointe des pieds pour rassembler le reste de ses vêtements éparpillés. Elle les serrait contre sa poitrine dans un geste pudique qui, dans les circonstances actuelles, était plutôt ridicule.

« La marche de la honte. » L'expression utilisée par les étudiants pour qualifier le lendemain d'un coup d'un soir semblait pertinente. L'université était loin derrière elle et, tout comme Jay, elle était célibataire et donc libre de coucher avec lui s'ils en décidaient ainsi.

S'ils en décidaient.

La phrase lui revint en pleine tête comme un élastique dont on aurait lâché l'extrémité.

Soudain, le choc de se réveiller dans le lit de Jay laissa place à une prise de consciente alarmante : elle ne se rappelait pas comment elle était arrivée là. Ni d'avoir pris la décision réfléchie de coucher avec lui. Ni d'avoir pesé le pour et le contre et d'avoir penché en faveur du passage à l'acte. Elle ne se souvenait pas plus d'avoir été séduite au point que le bon sens laisse place à la sensualité. Ni d'un quelconque haussement d'épaules avant d'avoir conclu : Quelle importance ? Nous sommes des adultes.

Elle ne se souvenait de rien.

Regardant autour d'elle, elle prit la mesure de la disposition de la chambre et de son mobilier. La pièce était agréable, décorée avec goût, et taillée pour un homme vivant seul. Mais rien ne lui y était familier. Et elle s'en rendait compte pour la première fois.

Visiblement, il s'agissait bien de la maison de Jay : il y avait des photos de lui un peu partout, pour la plupart des clichés de vacances avec des amis. Mais elle n'était jamais entrée dans cette pièce auparavant, ni dans cette maison d'ailleurs. Elle n'était même pas sûre d'en connaître l'adresse, bien qu'elle eût un vague souvenir de s'y être rendue à pied depuis... depuis quelque part.

Oui, le Wheelhouse. Jay et elle s'y étaient retrouvés pour prendre un verre. Il en avait déjà avalé un certain nombre lorsqu'elle l'avait rejoint, mais ce n'était pas inhabituel. Jay aimait l'alcool et il avait une descente impressionnante. Elle avait commandé du vin blanc. Ils s'étaient installés et avaient discuté, se racontant où ils en étaient dans leurs vies respectives.

Puis, il avait dit...

Elle s'en souvenait maintenant. Elle frissonna, mais pas de froid. Elle se couvrit la bouche pour réprimer un gémissement et le regarda de nouveau. Elle murmura un « Oh, Jay », plein d'empathie, répétant les premiers mots qui lui étaient venus la veille lorsqu'il lui avait annoncé l'horrible nouvelle.

« Peut-on poursuivre cette conversation chez moi ? avait-il demandé. J'ai déménagé depuis la dernière fois que nous nous sommes vus. Une vieille tante est morte en me laissant ses biens. Plein de porcelaines de Chine, de trucs en cristal et d'antiquités. J'ai tout rendu et acheté une maison de ville avec le produit de la vente. Ce n'est pas loin. »

Il s'était montré bavard, se conduisant comme s'ils parlaient de rien de plus inquiétant que l'approche de la saison cyclonique, mais ce qu'il lui avait annoncé était un choc énorme. Terrible. Impossible à croire. Elle en avait été sidérée. La compassion l'avait-elle conduite à l'affection ? Cela expliquait-il qu'ils aient fait l'amour ?

Seigneur, pourquoi était-elle incapable de se le rappeler ?

Cherchant des réponses en même temps que le reste de ses habits, elle se rendit dans le salon. Sa robe et son gilet étaient en tas sur une chaise, ses sandales par terre. Une bouteille de scotch et deux verres se trouvaient sur la table basse près du canapé. Il ne restait qu'un fond d'alcool dans la bouteille. Les coussins du canapé étaient froissés, tout déformés, comme si quelqu'un s'y était vautré.

Selon toute vraisemblance, Jay et elle.