Lili Terrier, 7 rue de la lune

Quand elle était petite, Joséphine avait tout de suite compris que la ville de province où elle habitait était coupée en deux. Il n’y avait pas de murs en barbelés avec miradors comme dans les films qui se passaient dans les pays de l’Est, mais la frontière avait beau être invisible, elle était bien réelle. Les gens qui logeaient dans les HLM du haut de la ville pouvaient descendre dans le centre afin de vaquer à leurs occupations : réparer la plomberie d’une belle maison, s’occuper des fleurs dans le jardin d’une autre, garder les enfants des propriétaires d’une troisième. Mais de là à pouvoir y habiter… Jamais de la vie !

À moins d’être clochard.

Mais même dans ce cas, le privilège de loger dans le centre-ville était de courte durée. Et les endroits très circonscrits. En général, le carton qui abritait le mendiant sur son petit bout de trottoir et la coupelle destinée aux dons en menue monnaie ou miettes de pain rassis avaient disparu la nuit suivante.

Le mendiant aussi. Volatilisé.

Joséphine avait sept ans quand elle avait remarqué l’efficace système d’autonettoyage de sa ville. Depuis, elle n’avait plus cessé de faire des cauchemars où elle se retrouvait seule à errer dans les rues.

Les seuls rêves capables d’endiguer les larmes provoquées par ces cauchemars étaient ceux où elle se métamorphosait en escargot.

Avec une maison sur son dos.