Commentaires de livres faits par Maryssandre
Extraits de livres par Maryssandre
Commentaires de livres appréciés par Maryssandre
Extraits de livres appréciés par Maryssandre
- Parce que, dans mon dos, j'entends toujours le corbillard du temps, avec son moteur à injection, turbocompressé, qui fonce pour me rattraper.
- Du vin blanc.
Tout enfant, tu dormais près de moi, rose et fraîche,
Comme un petit Jésus assoupi dans sa crèche ;
Ton pur sommeil était si calme et si charmant
Que tu n'entendais pas l'oiseau chanter dans l'ombre ;
Moi, pensif, j'aspirais toute la douceur sombre
Du mystérieux firmament.
Et j'écoutais voler sur ta tête les anges ;
Et je te regardais dormir ; et sur tes langes
J'effeuillais des jasmins et des oeillets sans bruit ;
Et je priais, veillant sur tes paupières closes ;
Et mes yeux se mouillaient de pleurs, songeant aux choses
Qui nous attendent dans la nuit.
Un jour mon tour viendra de dormir ; et ma couche,
Faite d'ombre, sera si morne et si farouche
Que je n'entendrai pas non plus chanter l'oiseau ;
Et la nuit sera noire ; alors, ô ma colombe,
Larmes, prière et fleurs, tu rendras à ma tombe
Ce que j'ai fait pour ton berceau.
Loïc est là, tout près, pâle, tendu. Il se lève, marche, revient, s'assied, prend un journal, le repose. Attrape ma main et la serre de toutes ses forces. Mon autre main caresse mon ventre arrondi. Un geste qui se veut apaisant pour la petite vie qui grandit là depuis cinq mois. Un geste instinctif de protection.
C'est là que je l'entends. « Si tu savais... » Cette phrase vient se graver au plus profond de moi. Je ne l'oublierai jamais. Et surtout, jamais je n'oublierai la manière dont je l'ai ressentie : elle portait la souffrance et le calme confiant de qui sait, de qui sait tout. Elle résumait à elle seule l'épreuve qui allait imprimer notre quotidien quelques minutes plus tard. À tout jamais.
Le médecin arrive enfin. Elle nous salue, s'excuse de son retard et nous entraîne dans une petite pièce isolée au fond d'un couloir. Deux personnes nous suivent, dont une spécialiste des maladies du métabolisme que nous avons déjà rencontrée.
Quand on nous présente la troisième personne, mon cœur se serre : c'est une psychologue. Et là, sans prévenir, les larmes me submergent. Avant même de savoir. Parce que d'un coup, j'ai compris. « Si tu savais... »
IL N'Y A PAS DE TONNERRE, pourtant tout gronde. Les phrases me parviennent réduites à l'essentiel. « Votre petite fille... maladie génétique grave... leucodystrophie métachromatique... atteinte dégénérative... espérance de vie très limitée... ».
Non.
Mon cerveau refuse de comprendre, mon esprit se rebelle. On ne parle pas de ma Thaïs ; ce n'est pas vrai ; je ne suis pas là ; ce n'est pas possible. Je me serre contre Loïc, mon rempart.
Alors que tout s'emmêle dans ma tête, mes lèvres formulent une phrase craintive : « Et pour notre futur bébé ?
— Il y a un risque sur quatre qu'il soit atteint lui aussi. Vingt-cinq pour cent de chances... »
La foudre tombe. Tout s'assombrit. On est perdus ! Devant nos pieds, un effrayant trou noir. L'avenir est réduit à néant. Pourtant, à cet instant terrible, notre instinct de survie prend le dessus durant quelques secondes, brèves mais décisives. Non, nous ne voulons pas de diagnostic prénatal. Nous voulons ce bébé. C'est la vie ! Une minuscule petite lumière dans un horizon d'ébène.
La discussion se poursuit, sans nous. Nous n'avons plus la force. Nous sommes ailleurs, nulle part. Maintenant, il va falloir se lever et quitter la pièce. Ça peut paraître anodin. C'est pourtant l'une des choses les plus difficiles à faire. Car ce geste nous replonge brutalement dans je présent, dans notre vie où désormais plus rien n'est comme avant. C'est symbolique : il faut nous relever après le choc et continuer à vivre. Un premier pas. Un petit pas, mais un pas.
Nous nous séparons devant le bâtiment de l'hôpital, hagards, anéantis, vidés. Loïc repart travailler. Rien ne nous avait laissé présager un tel cataclysme. Nous n'avions rien vu venir.
Je rentre à la maison comme un automate. Et là, à peine la porte poussée, je l'aperçois. Thaïs... Elle est debout dans l'entrée, avec son grand sourire, ses joues roses, son air malicieux, ses cheveux blonds. Elle est là tout heureuse, rayonnante, espiègle, confiante. Et aujourd'hui, mercredi 1er mars, c'est son anniversaire. Elle a deux ans.
THAÏS EST UNE PETITE FILLE COMME LES AUTRES. Ou du moins l'était-elle encore une heure auparavant. Jusqu'à ce jour, sa seule distinction notable, c'était sa date de naissance : le 29 février. Un jour qui n'existe qu'un an sur quatre. Un anniversaire les années bissextiles seulement. Ça enchante Loïc. Il clame avec bonheur que sa fille vieillira moins vite. Voilà, c'est sa seule singularité. Ça, et une démarche particulière. Un pas adorable mais un peu hésitant. Je m'en suis aperçue à la fin de l'été. J'aime regarder les traces des petits pieds sur le sable mouillé. Et là, sur une plage tiède de Bretagne, j'ai constaté que Thaïs marchait d'une manière spéciale. Son pouce tourne vers l'extérieur. Mais bon, elle marche, c'est l'essentiel. Elle a peut-être un vague problème de pieds plats, tout au plus.
Par acquit de conscience, à l'automne nous allons voir un orthopédiste. Il ne décèle rien et nous conseille d'attendre un an pour voir si les choses rentrent d'elles-mêmes dans l'ordre. Mais un an c'est long pour des parents. Et puis deux avis valent mieux qu'un. Rendez-vous est pris dans un hôpital pour enfants. Là, le constat est identique.
« Pas de problème, du moins orthopédique, annonce le médecin. Voyez quand même un neurologue. Il peut avoir une explication. »
Nous ne nous inquiétons pas : nous savons que Thaïs n'a rien de grave. Ça se verrait sinon.
Octobre touche à sa fin. Nous sommes comblés d'un bonheur insolent. Après Gaspard qui aura bientôt quatre ans, et Thaïs, nous attendons un troisième bébé pour la mi-juillet. D'ici là, nous aurons déménagé dans un appartement plus spacieux. Nos vies professionnelles nous épanouissent. Et nous nous aimons ! Bref, la vie nous sourit... s'il n'y avait ce petit pied que Thaïs s'évertue à tourner en marchant...
La neurologue ne peut nous recevoir avant la fin de l'année. Nous ne sommes pas pressés. Même si l'assistante maternelle et la directrice de la crèche familiale de Thaïs croient déceler des micro-tremblements de ses mains... Et si elles la trouvent moins souriante ces derniers temps. C'est vrai, mais cela ne nous alarme pas. Thaïs perçoit certainement la présence encore invisible du bébé. Ça la contrarie et la perturbe. L'explication doit être là. Mais ça ne l'empêche pas de continuer à se développer comme toutes les petites filles de son âge. Elle chante, rit, parle, joue, s'émerveille.
Lors de la visite, la neurologue confirme tous ces acquis, mais elle prescrit quand même une série d'examens. En ce début d'année, l'IRM s'avère parfaitement normale. Bonne nouvelle ? Non, pas vraiment, pensent les médecins. Car il faut bien expliquer ce problème de démarche. Le diagnostic s'assombrit. Thaïs refait des tests un peu plus douloureux : prise de sang, ponction lombaire, biopsie de peau. On entend parler de maladies du métabolisme, sans bien savoir ce que cela veut dire, et sans aucune réponse précise. Pour le moment. Puis on nous convoque, Loïc et moi, pour une prise de sang. Nous l'effectuons avec docilité et confiance ; nous sommes à mille lieues de nous douter de ce qui nous attend. Et pourtant, dans quelques jours, notre vie va basculer.
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Demain, dès l'aube...