Indécente initiation

• Diantre, que je suis mitigée. Que dis-je, mitigée. J'ai envie de hurler, tant ma frustration atteint des sommets à en ridiculiser l'Everest.

Ce livre avait tout, TOUT, pour être un chef d’œuvre. La prose est absolument divine, les personnages, complexes et fascinants, l'atmosphère, d'une sensualité sinistre à souhait.

• Sauf qu'en fait, non. En dépit de ses fondations extrêmement solides, l'autrice s'est entêtée à faire tous les choix scénaristiques qu'à mes yeux, il ne fallait pas faire, justement.

Ou comment une œuvre phénoménale devient lentement mais sûrement une énième histoire de vampire, fade et ennuyeuse... Ma note se réduisait comme peau de chagrin à mesure que j'approchais du chapitre finale. J'en avais mal au cœur, vraiment.

•Car cette autrice possède un talent dingue. Comme je l'ai dit, les bases sont là, mais l'exécution ne suit pas. J'ai trouvé que prendre le concept du vampire au sens littéral (avec de vrais buveurs de sang) était une erreur. Il s'agit ici d'une réécriture très libre et contemporaine de Carmilla, probablement l'un des meilleurs romans vampiriques après ceux d'Anne Rice - déjà, ça partait bien. L’œuvre de Sheridan le Fanu regorge d'interprétations et de concepts. Ce n'est pas "juste" une histoire de vampire, loin de là.

Donc, au vu de l'ambiance, de l'écriture, et des relations qui unissent nos différents personnages, je pensais sincèrement que l'autrice aborderait le sujet d'une manière différente, moins terre-à-terre. Qu'elle explorerait en profondeur la symbolique du vampire, ses métaphores et leurs équivalents dans la vie réelle. De lafontaine, par exemple, est l'incarnation même du pervers narcissique, qui saigne à blanc l'objet de son affection, avec ou sans canine. Elle l'étouffe, l'enivre, la hante et l'assassine, de mille façons possibles et imaginables. Carmilla représente à merveille la victime consentante, qui se jette à corps perdu dans les griffes d'un prédateur par crainte de l'abandon et l'espoir vain d'un avenir meilleur. Et que dire de Laura ? la si douce, si pieuse, si docile Laura, qui en réalité dissimule un puits de noirceur insondable sous ses airs délicieusement ingénus ? Chaque chapitre nous apportait une nuance supplémentaire à nos protagonistes, resserrant toujours un peu plus les entraves qui les lient, bien malgré elles, jusqu'à la suffocation.

Ce cocktail aurait pu être prodigieux. Et il l'était, jusqu'à la révélation sur De Lafontaine - moment fatidique où ce livre part complètement à vau-l'eau. En lieu et place du dénouement cruel, fatidique, que l'on nous fait miroiter dès les premières lignes, l'histoire se termine presque discrètement, sans éclat ni intérêt. L'ouragan tant attendu se résume à un vulgaire...pet de lapin. J'avais presque l'impression de lire deux histoires, radicalement, différentes. Même les personnages, si forts, si puissants, en deviennent inexorablement fades, et simplistes. L'idylle entre Laura et Carmilla se mue en une énième amourette d'adolescentes, mignonne comme tout (quoique très érotique), mais dépossédée de la rage et de la tension qui en faisait un pur délice à lire quelques chapitres auparavant. La conscience que s'invente De Lafontaine vers la fin de l'histoire ruine totalement son charisme magnétique et l'aura de mystère qui l'entourait naguère. Seule Laura demeure cohérente. La voir progressivement embrasser les ténèbres qui sommeillent en elle était jouissif.

Mais pour moi, ça ne suffisait pas. "An Education in Malice" reste un excellent livre, cependant. Le style de l'autrice est réellement splendide. Cette dernière possède un talent inné pour l'érotisme et le macabre, qu'elle mâtine d'un très léger parfum de scandale. Elle en a sous le pied en terme d'écriture, c'est une évidence. J'aurais simplement préféré qu'elle prenne davantage de risques.