Les nouvelles enquêtes de Sherlock Holmes: Un certain Dr Watson

Exaspéré, le visage au charme cruel du Professeur s’assombrit encore.

– Vous devriez l’être, Moran. Vous devriez le savoir avec certitude. C’est votre travail de savoir. C’est pour cela que l’on vous paie !

– Il semblerait que quelqu’un prévienne la police…

Le Professeur éclata d’un rire railleur.

– Brillante déduction, Moran ! L’école publique a fait de vous un être d’exception. Malheureusement, il n’est pas nécessaire d’être un génie pour arriver à cette conclusion qui s’impose d’elle-même. Scoular m’a rendu visite ce soir. Par chance, il y a un homme intelligent sur lequel je peux compter.

À l’évocation de ce nom, Moran blêmit. Scoular était malin, vif et très ambitieux. Un arriviste qui gagnait progressivement la confiance du Professeur, au point qu’il briguait désormais la place de favori. Logiquement, Moran se sentait en péril. Il savait que dans l’organisation, on ne rétrogradait pas. Dès que l’on tombait en disgrâce, on perdait la vie.

– Que voulait-il ?

– Rien d’autre que de m’offrir des informations sur notre puce énervante. Apparemment, l’homme se fait appeler Harry Jordan. Il traîne dans certaines brasseries de l’East End, le Black Swan en particulier. Il semble jeter son dévolu sur nos agents les plus crédules, comme Johnson et Sims, et servir d’indic à la police.

– Comment s’y prend-il ?

Moriarty haussa les épaules.

– Je ne sais pas – enfin, Scoular n’en sait rien. Nous devons le découvrir, n’est-ce pas ? Mets Hawkins sur l’affaire. Il a l’esprit vif, et il saura quoi faire. Informe-le de la situation et vois ce qu’il en pense. Je ne doute pas que ce monsieur Jordan réapparaisse dans son repère lucratif du Black Swan dans les jours qui viennent. Je ne veux que des informations. On ne doit pas faire de mal à ce Jordan. Compris ? Penses-tu pouvoir arranger cela en toute discrétion ?

Moran serra les poings pour contenir son exaspération croissante. Personne n’était autorisé à lui parler sur ce ton, comme s’il n’était qu’un caporal incompétent aux bottes crottées. Il avait vraiment envie de chasser ce rictus sarcastique du visage du Professeur, mais il savait aussi qu’une réaction trop impétueuse serait de la pure folie.

– Je m’en occupe immédiatement, répondit-il sèchement avant de quitter la pièce.

Le Professeur rit sous cape, puis retourna se poster devant la fenêtre. Son reflet l’examinait dans la vitre assombrie par la nuit tombante. C’était un homme grand, à la chevelure noire épaisse, aux traits anguleux, et il aurait été séduisant sans cette bouche cruelle et ces yeux gris d’une froideur impitoyable.

– Monsieur Jordan, dit-il à voix basse en s’adressant à sa propre image. Vous m’intriguez. J’espère avoir prochainement le plaisir de vous accueillir dans mon salon.