La fée Mélusine : le serpent et l'oiseau

Extrait de l'introduction :

MÉLUSINE

OU LE SAVOIR D'UN MYTHE

Notre héritage n'est précédé d'aucun testament.

René Char, Feuillets d'Hypnos.

Deux romans en moyen français du XIVe siècle livrent son nom (un de ses noms !) mais, avant et après eux, de multiples récits racontent la même histoire en Europe et dans le monde entier, témoignant du lointain enracinement mythique du personnage. Héritage sans testament, l'histoire de Mélusine est connue mais son mythe continue sans cesse de nous interroger. Mélusine, c'est d'abord le triomphe insolent de l'imaginaire. Le mot est tellement galvaudé aujourd'hui qu'on ne sait plus très bien ce qu'il désigne. Tantôt tiré vers l'imagination (dont il n'est qu'un aspect), tantôt confondu avec l'idéologie (dont il est un versant), il exprime en réalité le pouvoir infini de signifier que possèdent images, mythes ou symboles. Ce pouvoir de signifier est infini parce que ni les idées ni les concepts n'en épuisent jamais le sens. Il échappe en grande partie à la pensée rationnelle parce que le mythe, les images et les symboles créent une manière différente de signifier, excédant les capacités ordinaires des concepts. En un sens, l'image est toujours en avance sur les idées ou en décalage par rapport à elles. C'est pourquoi il y a dans toute étude d'un mythe une nécessaire part d'inachèvement. Il faut l'admettre et s'y soumettre.

On a cru très longtemps que le langage des mots était le seul moyen d'exprimer une pensée. Ensuite avec la peinture, la photographie, puis le cinéma, serait arrivée l'image qui parlerait mieux que les idées elles-mêmes parce que sa signification, plus suggestive, ne se réduit jamais à un mot ou à un concept unique. En vérité, dès les origines de l'humanité, il a existé une pensée par images. On peut l'appeler mythologie. Comment pense-t-on à cette époque l'alternance des saisons ou celle du jour et de la nuit ? Par des mythes. Comment explique-t-on la prohibition de l'inceste ? Également par un mythe (pour la Grèce, celui d'Œdipe). Les mythes expriment les vérités fondamentales et concrètes de la société et de l'homme. La philosophie et la science théoriseront souvent ensuite sur les mêmes intuitions. Pour le monde moderne, c'est la poésie qui est devenue le refuge du mythe. C'est elle qui sait le mieux faire vibrer «les champs magnétiques» de l'image, reflets irisés de mythes primordiaux. Pour le Moyen Âge, c'est la forme du récit, du conte et de la légende qui accueillit avec ferveur l'héritage foisonnant des mythes préchrétiens et qui nous le transmit sereinement. Et Mélusine entra ainsi dans la légende de la littérature.

En recouvrant le vaste domaine du mythe, des symboles et des images, l'imaginaire mélusinien interroge les capacités créatrices d'un autre langage humain. Images et symboles sont autant de prismes de la créativité humaine que partagent les sociétés les plus évoluées comme les plus primitives. Avec les images, l'homme a toujours pensé aussi bien. Aussi n'est-ce pas un hasard si le ressourcement vers l'imaginaire des arts premiers fut recherché par les poètes, et en particulier par les surréalistes, à un moment où la culture occidentale constatait ses propres limites, voire ses échecs esthétiques et philosophiques. Ne s'agissait-il pas pour eux de retrouver cette pulsation première de l'image créatrice qui relie l'homme aux mystères de sa destinée, ceux de l'au-delà et de la mort ? Pour André Breton dans Arcane 17, Mélusine devient l'emblème d'une quête du mythe qui est aussi une quête du sens de l'homme et de la femme.