L'Ange de la Mélancolie

Je citais plus haut les Confessions de J.-J. Rousseau, mais je voudrais évoquer également la Confession d’un enfant du siècle de Musset (1836), dans laquelle se croisaient déjà cette souffrance du constat de la permanente duplicité égoïste de l’être aimé, ce sentiment d’être abandonné à sa solitude, cette impression d’être condamné injustement à ne pouvoir mériter l’amour (l’empreinte baudelairienne sur Liau est également tout à fait nette, notamment quand je pense au projet et aux notes de Mon Cœur mis à nu). Mais une fois encore, référer à Musset ou à Baudelaire ne doit pas faire illusion, à l’instar de la référence à Rousseau. Ce serait bien simple que de ne voir dans la figure de la « maîtresse » de l’enfant du siècle que George Sand, elle-même, ce serait occulter du reste le propos de cet « enfant du siècle ». Ce serait aussi naïf que de ne voir dans la Béatrice de Dante que la figure de la demoiselle Bice di Folco Portinari ! Dans la tradition courtoise héritée du monde arabe, la Dame chantée n’est que le tremplin allégorique vers le Divin, et chez les romantiques – et chez Musset – elle est d’abord l’expression de l’inaccessibilité de l’Idéal, de l’aspiration irrésistible mais désespérément vaine, à l’Absolu. Et pourtant – paradoxe ? – c’est justement par la sublimation que constitue l’Art, et notamment l’art du Verbe, que l’on peut approcher l’Absolu et l’Universel.

L’œuvre de Nicolas Liau vise l’expression et l’exploration de l’inconscient en ce qu’il a d’Universel. Et au service de cette visée, il y a un Style, et – j’insiste – d’une haute maîtrise, véritablement virtuose. Je ne m’étendrai pas sur le caractère rare et plutôt précieux des mots choisis par Nicolas Liau, tant il est évident. Mais, lors de ma lecture j’ai été tout particulièrement frappé par le caractère presque heurté du rythme, en tout cas inconfortable. Quand je lis, je respire à mesure de la phrase, et là, ma respiration s’est trouvée interrompue, chaotique, et ma lecture inconfortable. Je m’en suis ouvert à l’auteur, et voici sa réponse : « Concernant mon style heurté, au rythme brisé, c’est plus ou moins conscient. L’une de mes vocations était toutefois de placer le lecteur dans une position d’inconfort, c’est certain. La violence crue et hyperbolique de certains textes va dans ce sens [ainsi que le] contraste entre la cruauté absurde de mes textes et leur enrobage poétique […]. [Ce contraste] répond à mon goût baroque pour l’alliance des contraires. […] Dans ces récits, j’ai voulu fuir autant que possible la linéarité afin d’épouser au plus près les contours accidentés de la folie et du désespoir amoureux qui fragmentent la raison et la font tressauter. [Ce recueil], je ne l’ai pas pensé comme une promenade de santé, mais au contraire comme une chute, en ricochets, au milieu de rêveries funestes, émanations désordonnées d’une amertume surabondante et d’une lassitude furieuse. »