La veuve du Christ

Lena ne descend jamais à la salle commune : division protégée. Mais qui protège-t-on ? Tous connaissent son histoire, depuis quelques jours les journaux ne parlent que de « ça » : l’affaire Rochat. L’hospice est devenu la proie des journalistes, avides de détails sordides. Spécialistes, enquêteurs, psychologues, tous y vont de leur petite analyse sur les tenants de cette histoire qui a scandalisé le pays.

Lena Rochat n’avait pas huit ans au moment de son enlèvement. Il semble que l’agresseur, un dénommé Victor Julius Lehmann de Calberère, pharmacien déchu d’une famille bourgeoise de l’arrière-pays, n’ait rien prémédité. Un coup de folie dans un parc solitaire, et il s’était retrouvé chez lui avec la gamine.

Puis, il avait installé une chambre dans la buanderie désaffectée, au sous-sol. Fenêtre condamnée, insonorisation parfaite.

Longtemps, les parents, la police et les médias ont cherché les traces de la disparue. En vain. Les années ont finalement passé, et avec elles s’est installée la certitude d’une enfant morte quelque part, dans une forêt ou une crevasse.

Lena Rochat n’était plus de ce monde.

Dans les couloirs de l’hospice, les bavardages vont bon train. Infirmières, médecins et patients, tous s’interrogent. Et toujours la même question qui revient : que s’est-il passé au lit, à table, dans les corridors, dans l’escalier, dans la baignoire, entre l’enfant et son agresseur ?

Au deuxième étage, Lena s’est réveillée. Les infirmières ont ouvert la fenêtre de sa chambre, quelques rares oiseaux chantent encore dans l’air du matin. Il est bientôt onze heures. Sous sa couverture, Lena glisse sa main entre ses cuisses. Elle ferme les yeux, ils se remplissent de larmes.