Place de la Trinité

Le temps passe, il est déjà 12 h 44, la terrasse s'est remplie, le service a démarré, et Lola est venue gentiment demander à Adrien s'il désirait un autre verre pour patienter. Adrien a décliné l'offre, il sait que Louise est toujours un peu en retard, il faudra que treize heures sonnent à Notre-Dame de la Dalbade pour qu'il commence à s'inquiéter. À la table voisine, deux vieilles dames bien habillées, le verbe haut, évoquent avec jubilation leurs dernières dispositions testamentaires – ça va tousser dans le landernau ! – et lui jettent régulièrement de mauvais regards comme s'il était le bâtard à déshériter. Leur conversation ne l'intéresse pas, il préfère suivre les allées et venues de la petite serveuse qui lui sourit à chaque passage. Elle l'aime bien, elle aime surtout le voir si courtois et si enamouré avec Louise, ça lui montre que ces choses existent, qu'elle a bien raison d'espérer et d'écarter les fêlés du sexe, hélas si nombreux. Une demi-heure plus tard, à 13 h 16 exactement, Lola, les bras chargés d'assiettes – le plat du jour est le poulet basquaise –, tente une consolation du genre « Elle a dû avoir un empêchement », mais on se demande si elle ne cherche pas à se consoler elle-même de ce retard qui semble l'affecter, ou du moins ébranler une conviction précieuse. Adrien lui sourit tristement. Il songe bien à téléphoner à Louise, mais se ravise aussitôt. C'était perdre la partie avant même de l'avoir engagée. Que vaut un conquérant qui demande si on ne l'a pas oublié ? La Gracieuse viendrait par politesse, essoufflée et ennuyée, avec l'envie de repartir au plus vite. Il le sait. Il n'appellera pas. De toute façon il déteste les portables, il a un vieux modèle qui grésille, un abonnement ridicule, il ne l'utilise jamais, et ce n'est pas dans ce moment pénible qu'il va s'y résoudre, car il ne faut pas sous-estimer la tristesse qui l'assaille alors qu'il attend celle qu'il aime, croit aimer, a aimé. La concordance des temps en amour est chose capitale.