Chroniques de Zéphiria, Tome 1 : Améthyste

Prologue

Spoiler(cliquez pour révéler)— C’est l’heure. Évangéline Seymour, avancez.

Les Gardiens du Palais m’extirpèrent de ma cellule, tirant sur la chaîne qui reliait les menottes anti-magie autour de mes poignets. Je trébuchai sur les pierres froides et inégales du sol, avant de ravaler difficilement ma salive, la bouche desséchée. Mon cœur tambourinait dans ma poitrine oppressée et mes pieds se faisaient lourds. Ma cuisse droite tiraillait et je priai Zéphir que personne ne fasse attention au sang maculant le tissu miteux, qui me couvrait les jambes. Je serrai mon précieux trésor dans la paume de ma main. Sans lui, rien ne pourrait se faire.

Ma tenue de prisonnière ne me protégea pas de la fraîcheur du petit matin, quand nous sortîmes des cachots du Palais royal de Zéphiria. Après quasiment un mois à croupir dans ma cellule sombre et humide, le soleil qui jouait sur les vitraux du château m’éblouit. Il faisait beau pour mon exécution, quelle ironie.

On me conduisit sans ménagement à la salle d’Audience. Toute la noblesse de Zéphiria m’observait. Les sièges, que ma famille aurait occupés, étaient désespérément vides. Même la mimique gênée de Victor m’aurait suffi à cet instant. Des larmes me montèrent aux yeux. En deux battements de paupières, je les chassai. Je crispai de nouveau les poings, m’entaillant la paume avec la pointe de la boucle d’oreille que j’y cachai. Bientôt.

J’accrochai le regard d’Ellandra, ma mentore, la plus grande Archimage de Zéphiria. C’était la dernière personne dans ce monde qui comptait encore pour moi… et pourtant, je ne pourrai pas la sauver. Elle fronça les sourcils en secouant la tête. Je lui offris un sourire ironique. Je me devais de tenter le tout pour le tout. Mon plan était fou, irréalisable, Ellandra me l’avait bien dit quand elle était venue me rendre visite au début de ma peine de prison. Malheureusement pour elle, les tortures de la Reine m’avaient convaincue. Je n’avais plus rien à perdre.

Dans la salle d’Audience, tous me scrutaient, chuchotaient, médisaient. La Reine sur son trône me toisait avec un éclat dans ses yeux noirs. De plaisir, à n’en pas douter. Toma, le Prince, me regardait avec pitié. Était-il soulagé de m’avoir répudiée ? De ne plus être forcé de cacher sa relation avec Isabella ?

La cicatrice encore fraîche au-dessus du sourcil rouge de Toma m’arracha un frisson de satisfaction. Dans mon malheur, j’avais pu laver l’affront de son infidélité. Certes, je n’étais pas restée à ses côtés par amour, mais j’aurais mérité plus de respect.

Un homme tapa du marteau sur son pupitre. D’habitude, Athanasia présidait ce type de séance, en tant que Régisseuse du Palais. Hélas, la Reine l’avait destituée et avait placé là un de ses larbins. Il prit la parole d’une voix forte et mélodramatique.

— Nobles de Zéphiria. Devant vous se tient une traîtresse au Royaume.

Traîtresse ? La colère teinta ma vision de rouge. Je baissai pourtant la tête, faussement repentante, et fis discrètement remonter la boucle d’oreille vers les menottes à mes poignets. Quand je sentis le métal du bijou griffer celui de mes liens anti-magie, je me mis au travail.

— La famille Seymour, ancienne dirigeante du Duché de Helm, a comploté pour assassiner notre bon Roi, Marcus Duciel. C’est devant vous que se présente la dernière Seymour, Évangéline, la main même qui a tué notre regretté Roi.

Le récit de leur enquête m’écorcha les oreilles. Aucun de mes proches ne pouvait assister à mon exécution, puisqu’ils n’étaient plus. Le porte-parole de la Reine revint sur ma soi-disant implication dans l’empoisonnement et la mort du Roi. « Son père voulait usurper le trône ! » arguaient-ils. Je tremblai, la rage au ventre devant tant d’inepties. La Reine s’était bien empressée de m’annoncer chaque mort, et comment elle les avait piégés les uns après les autres. Victor, mes parents, mes sœurs… il ne restait plus personne. Je serrai les dents.

La Cour de Zéphiria prouva ma culpabilité grâce à des arguments fallacieux énoncés par la Reine et le Prince. Ils prirent tour à tour la parole, m’enfonçant un peu plus dans la fange, moi qui avais déjà tout perdu. Leurs récriminations se fondirent dans un brouhaha auquel je ne prêtai plus attention. Mes longs cheveux pendouillaient lamentablement, et cachaient mes doigts qui s’activaient à graver un cercle sur mes menottes. Vite.

Je distinguais tout de même les objections d’Ellandra. La dernière à vouloir me défendre. La dernière à vouloir sauver Zéphiria des griffes acérées de la Reine. Je lui avais pourtant dit qu’il était trop tard.

Je soupirai discrètement en redressant la tête. J’avais fini, tandis que la Cour continuait à palabrer et à argumenter sur ma sanction. Elle contrait chacune des tentatives de ma mentore de me disculper. Je comprenais à présent que la Reine avait monté notre Royaume entier contre les Seymour, ma famille. Ses murmures horribles se superposèrent aux voix des nobles autour de moi. Une sueur froide coula dans mon dos.

Repoussant les souvenirs des visites de mon ennemie dans ma cellule, je me recentrai sur mon objectif, et enclenchai l’étape suivante. Je plantai la pointe de la boucle humidifiée par mon sang dans le cercle que je venais de graver. La disparition du sortilège sur les menottes passa inaperçue, tant les nobles s’absorbaient dans leurs débats vains.

Ma rage alimenta enfin mon mana qui couvait, libre ! Un frisson de satisfaction me parcourut, quand l’homme derrière le pupitre abattit de nouveau son marteau sur le bois. Je sursautai.

— Du fait de sa haute trahison, Évangéline Seymour est déchue de son statut de noble. Sa sentence est la pendaison.

L’assistance retint son souffle avant d’exploser. C’était bien rare que l’on pende un notable dans notre pays, le déshonneur était total. Personnellement, j’étais soulagée. Cette mort plus lente me permettait d’être certaine d’arriver à mes fins.

Ellandra secoua encore la tête, des larmes roulant sur ses joues brunes tandis qu’on me poussait dans le dos. Je montai sur l’échafaud, déployé à l’instant par les Archimages de la Tour. Le Gardien devant moi me passa la corde, dont le nœud coulant glissa autour de mon cou.

Je jetai un dernier coup d’œil à Ellandra. Pardon, articulai-je pour elle seule, ne sachant si je m’excusai de lui avoir volé l’un de ses précieux bijoux ou de mettre à exécution le plan qu’elle avait ardemment désapprouvé. Le Gardien recula et hocha la tête.

Aussitôt, le sol sous mes pieds se déroba. Je suffoquai. La corde s’imprima dans ma gorge, étouffant mon cri d’horreur. Le sang pulsait dans mes tempes. Vite, vite, vite ! À l’agonie, je libérai mon mana. Je le concentrai dans le cercle patiemment gravé dans la chair tendre de ma cuisse au creux de ma cellule humide grâce à la boucle d’Ellandra. J’absorbai la magie de ceux qui m’entouraient, leurs hurlements résonnant très loin à mes oreilles. Le tout pour le tout.

À cet instant, la mort me cueillit.