Pour les yeux d'une autre

Prologue

Decembre 1997, New York

Adam Forrester sifflotait en montant quatre a quatre les marches qui conduisaient a l’appartement de Natalie.

Meme si la vie qu’il menait n’etait pas celle dont il avait reve, ce soir, il se sentait curieusement optimiste. Il avait hate de voir Natalie. Cela faisait pres de six mois qu’ils n’avaient pas passe un week-end complet ensemble, mais Julia etait partie a Mamaroneck, et il etait libre. Ils etaient libres.

Et s’ils en profitaient pour faire une petite escapade ?

songea-t-il en souriant. Natalie serait ravie.

Il tenait a la main une bouteille de son porto prefere.

Chaque fois qu’il venait chez elle, il lui apportait un petit cadeau : une bonne bouteille, un bouquet de fleurs ou un livre, car elle ne voulait pas qu’il lui donne de l’argent. Il lui avait propose de payer au moins sa part des repas qu’elle lui mitonnait, mais la encore, elle avait refuse.

— Non, avait-elle proteste. Quand nous sortons, je veux bien ; chez moi, tu es mon invite.

— Mais…

— Je n’ai pas envie d’etre une femme entretenue, avait-elle insiste.

Dans ses beaux yeux bleu-gris brillait une lueur decidee qu’il connaissait bien. Sachant qu’il n’aurait pas le dernier mot, il avait abandonne la partie. Sous une douceur et une fragilite apparentes, Natalie cachait une volonte de fer.

Un peu essouffle, il atteignit le palier du troisieme etage et esquissa une grimace. Ces derniers temps, il avait ete moins assidu a son club de sport. C’etait un tort: a quarante-quatre ans, il avait plus que jamais interet a entretenir sa forme.

Il appuya sur la sonnette et guetta le bruit des pas de Natalie, puis celui du verrou qu’on ouvrait. Une excitation familiere l’etreignit. Aurait-il eprouve la meme emotion et la meme hate a la retrouver s’ils avaient ete maries, s’ils avaient vecu ensemble au lieu de se voir en cachette? se demandait-il parfois. Mais la reponse etait toujours la meme : cela n’aurait rien change. Des l’instant ou il avait pose les yeux sur Natalie, il avait su qu’il avait trouve la femme de sa vie. Elle etait sa raison d’etre. Sans elle, plus rien n’avait de sens.

La porte s’ouvrit, et il sourit.

— Bonsoir.

— Bonsoir, repondit-elle avec un sourire un peu las. Tu es en avance.

— Ma reunion s’est terminee plus tot que prevu, expliqua-t-il en refermant la porte.

Il posa la bouteille de porto, l’enlaca et l’embrassa longuement. Puis il serra contre lui son corps tiede et souple.

— Seigneur, comme tu m’as manque! soupira-t-il.

— Ca ne fait jamais que trois jours, dit-elle en riant doucement.

Elle leva la tete vers lui, et Adam vit passer sur son visage une expression qui le mit mal a l’aise. Mais elle s’accrocha a lui avec une telle ferveur et l’embrassa si passionnement qu’il oublia tout le reste. Natalie etait tout ce qui comptait pour lui. Il l’aimait, il la desirait, il avait besoin d’elle.