Un alien pour les fêtes, Tome 5 : Mail Order Mom

— Je suis heureuse que vous ayez trouvé le temps de venir ici aujourd’hui, dit la directrice en s’installant derrière son bureau. Il m’a été extrêmement difficile d’organiser des réunions avec votre mari.

— Papa est occupé, intervint Illal.

Ene et elle étaient assises près de la haie qui entourait le bureau de la directrice. Exactement en face d’elles, près de l’autre haie, une autre fille de leur âge était assise sur une chaise en balançant ses pieds. C’était Kessra, l’ennemie jurée d’Ene, d’après ce que j’avais cru comprendre.

La mère de Kessra était assise devant le bureau de la directrice, à portée de main de Mara. Comme il n’y avait pas de troisième chaise à côté des adultes, je pris donc place à côté d’Ene.

— Je sais que ton père est occupé, Illal, répondit la directrice sur un ton ferme. Être le capitaine d’un crozan est une carrière gratifiante mais très exigeante, déclara-t-elle avant de se tourner vers Mara. Je suis heureuse que les enfants aient un autre parent maintenant.

— Naturellement.

Mara se déplaçait sur son siège, l’air plutôt mal à l’aise.

— J’aimerais discuter du comportement d’Ene avec vous, madame Rax, poursuivit la directrice. Il a dégénéré ces derniers temps et nous aurions besoin de votre aide.

Je me redressai, choquée d’entendre ça.

— Son comportement ? Dégénéré ? Qu’est-ce que vous voulez dire ?

Ene était plutôt agréable à la maison. Je ne l’avais pas vue pleurer et elle participait à toutes les activités familiales avec une joie visible.

La directrice se lissa les cheveux au-dessus de l’oreille, bien que sa queue de cheval haute et soignée ne nécessite aucun ajustement.

— Oui. Nous avons des inquiétudes, madame...

Elle déplaça son regard de Mara à moi, puis le posa de nouveau sur elle, comme si elle cherchait des différences entre nous.

Comme toujours, les seules différences visibles étaient nos vêtements. Contrairement à la robe élégante et aux talons hauts de Mara, je portais des chaussures plates, une chemise ample et un short qui descendait jusqu’aux genoux. Mes vêtements étaient neufs, faits d’une matière plus légère et plus respirante que tout ceux que j’avais rapportés de la Terre. La coupe fluide de la chemise permettait d’accueillir une ou trois paires de seins sans qu’aucune modification ne soit nécessaire.

— Je vous demande pardon, je ne connais pas votre nom, avoua la directrice.

Elle m’avait vu à de nombreuses reprises. J’étais venue à l’école tous les jours et j’avais participé à de nombreux événements familiaux avec les enfants. Mais je ne lui avais jamais parlé. La directrice avait dû me prendre pour Mara pendant tout ce temps.

— Je m’appelle Susanna, me présentai-je en lui faisant un signe de tête.

Mara soupira de nouveau et se frotta le front.

— La nounou, précisa-t-elle avec impatience.

— Oh, la nounou. Bien sûr.

La directrice passa de nouveau la main sur ses cheveux.

— Quoi qu’il en soit, reprit-elle, je voulais vous parler d’Ene...

— Qu’y a-t-il la concernant ? l’interrompis-je en me sentant sur la défensive.

La directrice tressaillit mais ne jeta pas de coup d’œil dans ma direction, ne voulant pas se laisser distraire, j’imaginais.

La mère de Kessra se tourna cependant vers moi.

— Elle terrorise ma fille, déclara-t-elle catégoriquement.

— Elle... Quoi ?

Ma bouche resta ouverte.

Les épaules d’Ene s’affaissèrent. Illal posa une main sur son genou et Ene s’y agrippa.

La directrice hocha la tête.

— La semaine dernière, il y a eu deux incidents de comportement inacceptable. D’abord, elle a renversé la peinture de Kessra sur sa robe...

— Une robe toute neuve que nous lui avons achetée il y a un mois, ajouta la mère de Kessra sur un ton laconique.

— Ce n’était pas sa faute ! s’exclama Illal en se levant d’un bond. Kessra l’embêtait pendant qu’elle dessinait. Ensuite, Kessra et Tazeal ont peint sur le dessin d’Ene et l’ont abîmé.

— Illal, assieds-toi, s’il te plaît, répliqua la directrice d’une voix calme et égale avant de se tourner vers Mara. Il est peut-être préférable que les enfants partent pour l’instant.

Mara me jeta un coup d’œil par-dessus son épaule.

— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, intervins-je. Illal est la camarade de classe d’Ene et un témoin. Le moins que nous puissions faire est de l’écouter.

— Kessra est méchante avec Ene depuis des lustres ! lâcha Illal. Et maintenant que beaucoup d’autres filles veulent être les amies d’Ene, elle est jalouse.

La mère de la jeune fille souffla d’indignation, faisant vaciller Illal sous son regard.

— Ma fille n’aurait jamais...

— Ah bon ? demandai-je sans pouvoir rester plus longtemps sans réagir. Qui a coupé les cheveux d’Ene ?

— Kessra, répondit Illal en se rasseyant sur son siège, sa sœur lui reprenant immédiatement la main.

— Êtes-vous au courant de cet incident ? questionnai-je la directrice. Comment des choses de ce genre peuvent-elles se produire dans votre école ? Nous n’avons reçu aucun appel à ce sujet.

La directrice pinça les lèvres.

— J’ai essayé de joindre le capitaine Rax. Sans succès. Nous avons discuté de cet incident avec les deux filles.

— Vous avez ensuite passé ça sous silence, n’est-ce pas ?

L’air mal à l’aise, elle jeta un coup d’œil aux enfants.

— Les filles, pourquoi n’iriez-vous pas sur l’aire de jeux ? Pour retrouver vos frères ?

Les trois filles se levèrent de leur chaise et sortirent de la pièce, une par une.

— Ma fille... reprit la mère de Kessra.

Mais j’étais déjà trop remontée pour la laisser finir les excuses qu’elle s’apprêtait à donner. Je l’interrompis en levant la main.

— Je ne connais peut-être pas grand-chose à la psychologie de l’enfant ni même aux enfants en général.

Je me grattai l’épaule, cherchant la manière la plus précise de formuler mes pensées.

— Mais vous devriez avoir une bonne conversation avec votre fille, continuai-je. Il y a manifestement quelque chose qui ne va pas dans sa vie, et elle a choisi de s’en prendre à Ene pour se sentir mieux. Ene n’a pas à servir de punching-ball à Kessra au gré de son humeur. Ce harcèlement doit cesser.

La directrice me regarda d’un air confus, puis se tourna vers Mara.

— Je préférerais discuter de cette question avec les parents d’élèves. Madame Rax, qu’en pensez-vous ?

Mara agita la main avec dédain, l’air ennuyé.

— La même chose que Susanna. Maintenant, si nous en avons terminé, j’espère que vous m’excuserez, mais j’ai un autre engagement.

Elle se leva.

Son « autre engagement » consistait bien sûr à regarder des films et à discuter en ligne avec les quelques connaissances qu’elle s’était faites à Arqa. Mais je n’allais pas la remettre à sa place devant la directrice de l’école.

— Oh... Bien. Euh...

La directrice cessa de la fixer pour me regarder.

Je levai un doigt pour attirer l’attention de tout le monde.

— Je n’hésiterai pas à en parler au capitaine Rax, mais en son absence, c’est moi qui suis responsable des enfants. Et si j’entends parler d’une autre attaque ou tentative d’intimidation de la part de votre fille à l’encontre d’Ene... poursuivis-je en pointant du doigt la mère de Kessra, au sein de votre école... continuai-je en tournant mon doigt accusateur vers la directrice.

Mara s’approcha de moi.

— Ouais, ouais, ça bardera. Elles ont compris, dit-elle en m’attrapant par la taille. Allons-y. J’attends un message à la maison. J’ai été ravie de vous rencontrer, madame la directrice.