Après la poussière, tome 1 : Déviants

— Bien sûr que oui, monsieur l’agent. Les Politiques et Procédures interdisent de se procurer de la viande de rat par tout autre moyen. Les biens acquis sur le marché noir portent préjudice à l’économie du Havre et menacent notre mode de vie.

— Le Havre est synonyme de sécurité.

Nous répétons le slogan à l’unisson, puis nous rions.

— Heureux de savoir que vous aimez toujours le coolade, jeune demoiselle.

— C’est toujours si rafraîchissant.

Quelle drôle d’expression ! Aucun de nous ne sait ce qu’elle désigne, au juste, mais tous ceux qui ont grandi dans les Mans l’emploient pour décrire les employés qui s’expriment comme s’ils citaient mot à mot les P et P.

Cal pose ses mains sur mes épaules et, au moment où il se rapproche, je sens un frisson me traverser.

— J’ai un secret, mais tu dois me promettre de ne le répéter à personne.

Il se penche, ses lèvres bougent près de mes oreilles, et je ne peux rien sentir, rien éprouver d’autre que lui. Son cœur bat si fort et si régulièrement que je le sens en moi et que j’ai l’impression de fondre quand son souffle me brûle le cou. Surtout, que ma Déviance ne se déclenche pas.

— J’ai été recruté par le CJÉ.

J’ai un mouvement de recul. L’inquiétude pousse mon cœur à s’emballer encore davantage. Des émotions – la colère, l’incrédulité, la trahison – défilent derrière mes yeux. N’osant pas croiser son regard, je fixe ses pieds.

— Pourquoi ?

— Ça ne te paraît pas évident ?

Je me redresse et me cogne la tête sur le ciel.

— Doucement.