Eva Miller, Tome 3 : La Colline aux Sorcières

Chapitre 1

Je retenais tant bien que mal mes larmes de couler à flots alors que je rassemblais pé-niblement les dernières affaires nécessaires pour le voyage que je m’apprêtais à accomplir. Je me répétais sans cesse qu’il s’agissait de ma décision : je voulais partir, personne ne m’y avait forcée. Pourtant, quitter cet endroit et les quelques personnes encore en vie que je portais dans mon cœur m’attristait. J’aurais aimé trouver la force de rester dans ce lieu qui m'était si cher, mais l'évidence m'avait frappée : je n’avais pas suffisamment de courage en stock. Pour le moment, en tout cas. Je gardais bien trop de souvenirs déchirants de ma mère et Raphaël dans chacune des pièces de la maison et du souterrain aménagé. Chaque jour passé sans eux représentait une torture à l'état pur. Je ne voulais pas voir la vérité en face, elle se montrait extrêmement bouleversante.

Je ne disposais malheureusement pas de trente-six possibilités. Seules deux subsistaient : partir, ou moisir ici… Cependant, aucune de ces deux solutions ne me convenait parfaitement, j’avais donc opté pour celle qui me semblait la moins douloureuse et la plus simple. Peut-être le regretterais-je un jour ou l’autre, mais dans l’immédiat, mon cerveau était aux abonnés absents pour de plus amples réflexions sur ce sujet.

De toute façon, je ne bénéficiais plus d'aucun contrôle sur moi-même, sur mes sentiments, ou bien sur mes réactions. Je de-venais probablement la définition en chair et en os de la contradiction. Je devais paraître si étrange vue de l’extérieur. Je changeais d’avis comme de sous-vêtements. Mes émotions et mes ressentis s’emmêlaient constamment les pinceaux. Mais cet état de paradoxe qui m’envahissait depuis le décès tragique de celle qui m’avait donné la vie vingt-trois ans aupa-ravant me faisait diablement souffrir, au point de me demander si mon existence d’immortelle valait encore la peine d’être vécue… Si ma présence infinie sur cette Terre ne se résumait qu’à une immense désolation, à un supplice interminable et douloureux, ne s’amenuisant pas au fil des siècles, je préférais rendre l'âme de suite. La mort présenterait l’avantage non négligeable d’abréger mon calvaire immédiatement. Ne plus ressentir ce vide dans ma poitrine et ce trou béant dans mon esprit noirci par la peine restait tout ce à quoi j'aspirais dans cette misérable vie. Le repos éternel semblait incarner une si douce thérapie au mal-être qui grandissait en moi. Je souhaitais l’accueillir dans l’instant, mais je me trouvais faible, aussi faible qu’une humaine, même si mettre un terme à mon existence paraissait relativement aisé. Il suffisait de choisir les bonnes armes…

Je n’avais qu’à sortir après l’apparition du soleil… Cela se révélait tellement facile de mettre fin à cette éternité déchirante… pensai-je, le regard perdu dans le vide.

Non, même cela était devenu trop com-pliqué. Je n’avais pas de suffisamment de volonté pour écourter mon avenir. Au fond de moi, il ne restait que l’ombre de la femme forte que j’avais un jour représentée. Celle-ci n’aurait pas hésité une seule seconde… Je me méprisais désormais avec une telle véhémence, nourrissant une haine incontrôlée à mon égard et qui grandissait chaque jour en mon for intérieur.

Jusqu’à ce que j’explose…