Les Gardiens de la Lumière, Tome 2 : Entre des mains étrangères

Chapitre 1

Le deuil

Laurent décrypta le message. Le jour se levait. Il monta dans la tour. C'était le 1er décembre au matin et il lui fallait éteindre la lumière du phare pour plusieurs mois. Il souffla les lampes. En même temps qu'il accomplissait ce geste, il éclata en sanglots. Il laissa tomber le papier sur lequel était écrit le message. On pouvait y lire : Votre mère est morte cette nuit.

Pour reprendre pied, il s'affaira à frotter les prismes de la lanterne. Dans sa tête défilaient des scènes où le personnage principal était sa mère. Il songea: «Elle s'est éteinte cette nuit. Désormais, chaque fois que j'éteindrai les lampes du phare, je penserai à elle. Notre mère était la lumière de notre vie. Elle nous a si souvent empêchés de faire naufrage. Une mère, c'est comme un phare qui nous indique la route et nous éloigne des récifs.» Il pensa à son fils Emile. Dorénavant, Jeanne prendrait la relève. Ce serait sa lumière à elle qui leur servirait de guide. Elle ignorait que Rose était morte. Il descendit l'en informer.

Quand il lui annonça la triste nouvelle, Jeanne réagit comme il s'y attendait. Elle se jeta dans ses bras en pleurant, mais se reprit aussitôt, releva la tête et lui parla comme on s'adresse à un enfant pour le consoler. Laurent loua le ciel d'avoir une compagne aussi courageuse. Ils parlèrent longtemps de Rose, se remémorant une foule de souvenirs.

— Tu avais une mère comme on en trouve rarement, lui affirma Jeanne. Je me sens privilégiée de l'avoir connue. Elle était à son devoir, parlait peu et faisait sa besogne sans jamais se plaindre. Elle ne m'a pas seulement appris à cuisiner, elle m'a enseigné ce qu'est le devoir d'une mère. Vous, les hommes, vous travaillez sans trop vous soucier d'autre chose que d'apporter du pain sur la table. Nous, les mères, il nous faut voir au bien-être de tous et faire en sorte que la vie de chacun soit heureuse. Si nous nous y adonnons de si bon cœur, c'est par amour...,

Elle fit une petite pause et ajouta, pensive :

— Une mère, c'est fait pour aimer.

Laurent l'écoutait sans rien dire. Il la serra dans ses bras.

— Tu l'avais pressenti, lui rappela-t-il. Souviens-toi, quand ils sont partis, tu as dit : "Aujourd'hui, une page de l'histoire de la lumière de la Pointe-Ouest vient de se tourner." Tu avais raison, ça ne sera jamais plus pareil. La nouvelle page, il nous revient maintenant de l'écrire.

Le père de Laurent lui fit ensuite parvenir un nouveau télégramme où il l'informait que les funérailles de leur mère avaient eu lieu à la basilique de Québec. Il était désolé que les choses se soient passées ainsi. Personne de la famille n'avait pu y assister. Il se sentait bien seul.

Bientôt, tout Anticosti sut que madame Cormier était décédée à Québec, sauf un des principaux intéressés, seul dans son camp de chasse au milieu de l'île. Dans les jours qui suivirent, la plupart des habitants de l'Anse-aux-Fraises et de Baie-des-Anglais vinrent au phare offrir leurs condoléances