Whitechapel, Tome 1 : Un étrange destin

Whitechapel, Londres. Foire aux Femmes Fantastiques Farnham, 1815.

Le premier coup de poing de la combinaison une-deux atteignit Marianne à l’estomac, suivi de près par un uppercut à la mâchoire qui la renvoya, titubante, dans les cordes.

Sans surprise, les spectateurs assoiffés de sang, exclusivement masculins, se déchaînèrent. Les vociférations et les moqueries rappelèrent à la jeune femme qu’elle ferait mieux de se méfier de son adversaire, plutôt que de lorgner un bel inconnu dans la foule. Elle trébucha, mais recouvra son équilibre et se remit en garde.

Malheureusement, reprendre son souffle n’était pas si simple.

Depuis deux ans qu’elle pratiquait la boxe, elle avait appris à traiter par le mépris la sensation on ne peut plus familière d’avoir la respiration coupée. Il n’empêche… elle voyait flou, et il lui fallut faire appel à toute sa volonté pour rester debout et en mouvement tandis que ses poumons livraient bataille pour se remplir. Ce fut l’hystérie collective naissante, plutôt que l’air, qui lui dilata la poitrine.

Marianne s’ébroua et chercha son souffle encore et encore, jusqu’à ce qu’un misérable filet d’air parvienne dans ses poumons. Ce n’était pas grand-chose, mais cela suffit pour que sa vision redevienne nette, lui permettant d’éviter le crochet maladroit de Lizzy Lowry, dont le poing solide manquait généralement de ressort.

N’ayant jamais perdu contre Lizzy, elle avait fait montre de suffisance et avait baissé la garde, au sens propre comme au figuré. Et pourquoi ? Pour couler un regard au superbe duc de Staunton, debout au premier rang du théâtre de son oncle !

Le bel aristocrate, notoirement guindé, brillait comme un phare parmi la foule d’hommes hurlant et gesticulant. Son immobilité à elle seule le faisait sortir du lot.

Mais ce n’était pas la seule chose qui le distinguait des autres.

Il y avait également sa taille – il était plus grand que la plupart de ses compagnons – et ses cheveux d’un blond cendré incroyablement clair. Il portait une austère tenue de soirée noire, mais quelque chose avait scintillé quand il avait croisé les bras sur sa poitrine. Une bague, et fallait-il que la pierre soit extraordinaire pour que Marianne voie son éclat à cette distance. Il la portait à l’auriculaire de la main gauche, ce qui signifiait que c’était une chevalière, et non un accessoire de mode.

Bien que ce soit la pierre qui lui ait attiré l’œil, ce fut son regard intense qui retint son attention avec autant d’autorité qu’un bandit de grand chemin ordonnant à une voiture de s’arrêter. Son beau visage froid, presque agressif, l’avait mise à nu, et pas de la même manière que les autres hommes dans la foule.

La voix de Jack résonna dans sa tête : « Reste concentrée si tu ne veux pas finir face contre terre. »

Le conseil avisé lui revint au moment précis où Lizzy lançait un coup circulaire. C’était le genre de mauvaise décision qu’elle avait tendance à prendre lorsqu’elle commençait à s’essouffler. Marianne esquiva le coup disgracieux, se redressa sous la garde relâchée de Lizzy et lui asséna un uppercut impeccable qui l’envoya s’écraser contre les cordes avant de retomber, inerte, sur le sol.