La prisonnière de Venise

Le jeune homme traversa la passerelle et arriva à l’entrepôt. Il entra, tira un bout de chandelle de sa poche, l’alluma et le déposa sur une étagère. Puis il sortit et s’embusqua dans le renfoncement du mur. La flamme de la lampe suspendue fixée au piquet de fer s’éteignit, après un dernier vacillement. Le jeune homme ricana et demeura aux aguets. Nicoleta contourna le coin de la rue en toute hâte, mais s’arrêta aussitôt. Que signifiait toute cette obscurité ? Où était donc la lumière qui éclairait la ruelle ? Elle n’avait pas pu se tromper de direction, ce n’était pas possible, ce trajet, elle en connaissait le moindre tournant, la moindre montée, le moindre méandre. Désorientée, elle se déplaça vers la droite et tâtonna à l’aveugle jusqu’au moment où sa main rencontra un mur de briques. Elle poussa un soupir de soulagement. C’était bien le four à pain, il ne lui restait donc plus que quelques mètres à faire avant de parvenir chez elle.

Elle continua à effleurer le mur et hâta le pas. Si son père s’apercevait de l’heure tardive à laquelle elle était rentrée, il la battrait, mais elle était presque certaine que cela n’arriverait pas. Le sommeil de Zuàn, favorisé par les généreuses cruches de vin qui concluaient ses journées de charpentier, était plus profond que la mort. Un clapotis amorti lui fit deviner qu’elle était arrivée au bout de la ruelle, à proximité de la passerelle. Par chance, elle n’avait pas à la traverser : dans l’obscurité et sans parapets de protection, il suffisait d’un faux pas pour tomber dans l’eau du canal. À l’instant où elle venait à peine de dépasser le four, elle se sentit bousculer avec violence. Elle ne parvint même pas à crier. Quelqu’un lui enfonça dans la bouche un chiffon graisseux, la saisit fermement par les bras et l’entraîna au-delà d’un seuil de porte : ses jambes heurtèrent une marche ébréchée et sa robe se déchira.