Le réveil des dieux

Nous sortîmes de notre chambre par la fenêtre et suivîmes en équilibre fragile le mur d’enceinte du jardin. Sur le terre-plein d’herbe rase se devinaient les silhouettes assoupies des rochers, les passerelles et les lampes funéraires cachées entre les bosquets. Des pièces d’eau bordées d’ajoncs miroitaient sous les étoiles. Au sommet d’un tumulus, on apercevait le temple du collège et son portique, hérité de la secte Tendai. Nous sautâmes sur une allée de terre battue et gravîmes lestement les marches. Sa lance dans une main et sa pagode dans l’autre, la statue de Bishamon-ten semblait nous attendre sous la ramure d’un cerisier centenaire. Aubrey caressa l’armure de pierre.

— Salut, toi.

Nous nous assîmes sous le portique. À Sugarawa, collège administré par des bonzes, le culte bouddhiste était non seulement toléré, mais directement financé par les caisses de l’Empire. Bien des choses avaient changé au Japon depuis l’arrivée des Anglais.

— Très bien, fis-je en humant le parfum de l’herbe humide, où est-ce qu’on en était ?

Mon ami allait répondre lorsqu’un craquement nous fit sursauter. Nous demeurâmes immobiles.

— Ce doit être un renard, chuchota Aubrey. Parfois, ils viennent renifler les poubelles.

— Tu n’as pas une histoire sur les renards ?

— Les kitsune, rectifia-t-il. Montre du respect pour les messagers du dieu Inari. Si tu veux, je peux te raconter comment Magari no Tsunekata de la province de Bichû devint le mari d’une créature à poils roux.