Les Lionnes

Chapitre 1

La mère a rampé dans les hautes herbes sèches, elle s'est installée et elle a attendu. Les hommes commençaient à allumer leurs lampes pour la soirée. La mère n'aimait pas ces lumières aiguës qui perçaient les ténèbres et faisaient mal à ses yeux déjà habitués à l'obscurité.Elle a posé sa tête sur ses pattes de devant.Ses moustaches, qui avaient été hérissées tandis qu'elle progressait vers l'ennemi, se trouvaient désormais collées à la partie inférieure de sa face.

La mère haïssait les hommes, de cette haine qu'on peut seulement éprouver lorsqu'elle est provoquée par la peur ou la volonté de vengeance. Un an auparavant, elle avait vu deux de ses sœurs se faire tuer à ses côtés. Les hommes avaient brandi des tiges luisantes, il y avait eu des bruits étranges, des sortes de tonnerres courts, et ses sœurs étaient mortes.

Beaucoup de choses échappaient à la mère quant à la nature et au comportement des hommes, mais elle savait ce qu'était la mort ; à l'instant où elle avait vu ses sœurs tomber, la mère avait comprit que celles-ci ne se relèveraient pas. Il y avait eu d'autres tonnerres courts, et le bruit de gros frelons qui passaient près de sa tête dans un vrombissement sec.

La mère s'était enfuie en laissant derrière elle le corps de ses sœurs. Elle était revenue le lendemain, mais il n'y avait plus rien, plus rien que l'odeur qui déjà diminuait; l'odeur,aussi, de ces hommes, différente de celle des autres hommes qui, eux,, n'avaient pas le pouvoir de tuer si loin.

L'odeur de ces hommes étaient complètement nouvelle, et n'avait rien à voir avec ce que la mère avait appris de la nature. Elle croyait connaître l'odeur humaine, elle connaissait même le goût de la chair de l'homme puisque, beaucoup plus jeune, elle avait mangé un enfant humain près du gué, à la rivière.

Ce n'était pas une de ses proies habituelles; seulement, il avait été là et elle avait faim. Elle l'avait donc dévoré.

Est-ce que ces nouveaux hommes à l'étrange odeur avaient mangé ses sœurs ? La mère était expérimentée, capable de jugement, à sa manière, mais il y avait des questions qui resteraient à jamais brouillées dans son cerveau.

Ce soir, un an après la mort de ses sœurs, elle s'était décidée à venir tuer les nouveaux hommes.

Et sa fille l'accompagnait.