Emma

Chapitre 1

À peine la porte ouverte, Emma sut qu’elle allait passer la plus mauvaise soirée de ces quinze derniers jours d’enfer.

Elle franchit le seuil avec appréhension, chercha du regard où se trouvait son mari, Denis. Celui-ci lui attrapa le bras aussitôt la porte refermée.

— C’est maintenant que tu rentres ? T’étais où ?

— Tu me fais mal, lâche-moi. Je suis allée faire des courses.

Il lui arracha le sac des mains et l’ouvrit.

— Où sont mes bières ? Je t’ai dit que j’en avais plus, merde !

— Non… Je…

— Tu quoi ? cria-t-il en la poussant violemment contre le mur.

Emma fut profondément choquée par la violence de son geste et son attitude d’une agressivité jamais atteinte jusque-là. La tension entre eux était particulièrement palpable dernièrement. Denis était continuellement saoul quand elle rentrait du boulot et spécialement depuis quelques jours. Son attitude avait changé. Provocateur avec elle, il n’hésitait plus à se montrer violent.

Emma voulut s’éloigner mais il la retint en attrapant le haut de son tee-shirt et se colla à sa femme, pour la bloquer de tout son corps.

— Quand vas-tu te décider à faire ce que je te demande, hein ?

Prise au piège, Emma ne put que tourner la tête. Son mari avait visiblement beaucoup bu et ne semblait déjà plus maître de lui-même en ce début de soirée. Prise de panique, la jeune femme avait le cœur qui battait violemment dans sa poitrine. Il attrapa son menton d’une main de fer et l’obligea à lui faire face avant d’écraser sa bouche sur ses lèvres. Sa langue chercha la sienne sans aucune douceur mais Emma résista et serra les dents.

— Laisse-toi faire. J’ai envie de toi. Allez vas-y, embrasse-moi, dit-il en se frottant contre son corps.

Dégoûtée, Emma ne pouvait que constater l’excitation de son mari qui ne se maîtrisait plus. Elle rassembla toutes ses forces et le repoussa suffisamment pour se dégager. Furieux, il lui asséna une gifle, son crâne percuta le mur, le coup suivant lui vrilla la tête. Sonnée, elle se laissa glisser jusqu’au sol.

Denis l’attrapa de nouveau par le col avant de lui cracher au visage :

— Tu es à moi, t’entends. Je t’interdis de me repousser.

D’un mouvement sec, il lui arracha le vêtement, ce qui la projeta totalement au sol. Choquée, Emma le supplia en pleurant.

— Arrête Denis, arrête, je t’en prie.

— Ta gueule ! Tu me dégoûtes ! aboya-t-il avant de lever de nouveau la main.

Emma se protégea instantanément le visage. Quand un féroce coup de pied l’atteignit au ventre, son souffle se coupa. Recroquevillée au sol, elle attendit la suite, morte de peur.

— Tu ne me mérites pas, salope !

La porte claqua brutalement, ce qui mit fin à son calvaire, un des plus violents que la jeune femme avait eu à subir. Son sang cognait dans ses tempes, sa lèvre avait enflé et un goût de sang imprégnait désormais sa bouche. Elle s’effondra et se mit à pleurer toutes les larmes de son corps.

***

Plusieurs heures plus tard, Emma se tenait, tête baissée, dans l’allée qui menait à la maison de son frère Nicolas. Elle avait décidé de venir se réfugier chez lui mais n’avait pas encore osé frapper à sa porte.

Elle sursauta et se figea quand une voix se fit entendre à proximité.

Alex l’avait observée attentivement un moment avant de se décider à l’interpeller. La jeune femme portait, malgré la saison, un long gilet qui la couvrait entièrement et qu’elle tenait bien serré contre ses bras croisés.

Alertée par sa façon de se tenir, Alex s’approcha doucement et lui fit face.

— Emma ? C’est Alex, tout va bien ?

Emma ne s’attendait pas à voir l’amie de son frère aussi tôt. Inséparables depuis l’enfance, la croiser était inévitable mais la voir maintenant, après toutes ces années et dans ces conditions, la déstabilisait encore plus. Incapable de relever le regard, elle ne bougeait pas, ne parlait pas.

— Emma, dis-moi quelque chose s’il te plaît.

Alex ne savait pas quoi dire ni quoi faire devant son silence. Devait-elle la toucher ? Pouvait-elle seulement le faire ? L’attitude adoptée par Emma ne laissait aucun doute sur ce qui avait dû arriver. Nicolas lui avait raconté que son beau-frère avait été licencié quelques mois auparavant. D’après les dires de ses parents, depuis, il avait sombré dans une attitude froide, souvent colérique, usait de l’alcool comme remède et laissait leur couple, à première vue épanoui, se détériorer passablement. Nicolas la pensait violentée par ce mec qu’il n’avait jamais pu blairer et avait fait part de ses soupçons à son amie mais sans preuve, difficile d’agir, d’autant que sa sœur avait toujours nié ses accusations.

Là, devant elle, Alex comprenait que la sœur de son meilleur ami avait probablement menti et que le pire venait d’arriver.

Depuis le mariage d’Emma, frère et sœur avaient fini par considérablement s’éloigner. Les seuls contacts encore existants se produisaient grâce à leurs parents, lesquels faisaient en sorte que chacun puisse suivre l’évolution de l’autre. Nicolas avait pourtant essayé, pour sa sœur, d’entretenir une relation au début de leur mariage mais l’attitude de Denis l’avait vite découragé. Emma prenait constamment sa défense quand il essayait de lui parler et c’est ainsi qu’au fil du temps, les réunions de famille étaient devenues leurs seules occasions de se voir. Alex avait été le témoin de cet éloignement sans pouvoir faire quoi que ce soit pour l’éviter.

Très lentement, elle leva une main et la posa délicatement sur le bras d’Emma tout en s’approchant. Celle-ci tressaillit à son contact mais ne recula pas, alors Alex continua sa progression vers son visage.

— Emma, tu n’as rien à craindre. Regarde-moi.

Du bout des doigts posés sous son menton qu’elle souleva doucement, Alex put constater, horrifiée, l’étendue des dégâts.

Son regard se posa successivement sur son œil gauche violacé, sa joue gonflée, sa lèvre fendue où du sang avait séché.

— Tu ne peux pas aller voir ton frère comme ça. Je ne crois pas que tu sois en état de supporter sa réaction. Je t’emmène à la maison. Regarde-moi, dit Alex qui avait gardé ses doigts sur son visage.

Emma assimila ces paroles prononcées d’une voix extrêmement douce et releva son regard.

— Fais-moi confiance. Personne ne saura où tu te trouves, tu seras en sécurité et quand le moment viendra, je parlerai à ton frère.

Alex descendit sa main pour la tendre vers Emma.

— Viens avec moi.

Emma avait baissé les yeux sur cette main tendue. Encore incertaine, elle décroisa les bras puis, lentement, accepta de s’en saisir. Son regard embué de larmes remonta dans celui d’Alex et elle lui indiqua son accord par un léger signe de tête.

Sans lâcher sa main, Alex l’entraîna à sa suite et la dirigea vers la voiture garée devant l’allée, qu’elle supposait la sienne. La jeune femme se demandait encore comment Emma, qui habitait à trois cents kilomètres de là, avait réussi à faire tout ce trajet seule dans cet état.

— Je suis venue en moto, fit Alex qui ramassa son casque posé par terre à son arrivée. Tu peux conduire encore un peu ? Ce ne sera pas très long.

Emma, toujours muette, lui fit signe que oui. Alex lui tint la portière pendant qu’elle prenait place au volant. Les clés restées sur le contact, Emma démarra la voiture.

— OK… tu me suis, d’accord ? En cas de problème, fais-moi des appels de phare et je m’arrêterai.

Inquiète, la motarde la regarda une dernière fois puis ferma son blouson en cuir, ajusta son casque, ses gants et enfourcha sa moto.