Entre deux mondes

Chapitre I

Ça me met toujours en rogne quand les gens prétendent tout savoir sur quelqu’un qu’ils connaissent à peine.

Moi par exemple, je suis grande, mince et j’ai de long cheveux bruns. Je porte parfois des lunettes sur mes yeux marron presque noisette, qui d’après mon amie me font ressembler à un rat de bibliothèque. Je trimballe la plupart du temps un bouquin, toujours partante pour relire un livre qui me plait plutôt que le dernier ‘’closer’’. Je ne suis pas d’humeur à prendre des risques. Je ne fume pas. Je ne bois pas. Je fais peu de sport. Je parle trois langues (quatre si vous comptez le latin).

Avec tous ces éléments, les gens pensent que je suis une pauvre intello. Que je suis asociale. Que je vis dans un monde de livres. Que je parle toute seule. Que je suis bizarre.

Vous savez ce qu’il y a de plus triste la dedans ? C’est qu’ils ont raison.

Je vais faire ma dernière rentrée au lycée. Et je sais qu’à chaque fois le pire m’attend. Mais aussi un truc. Je le sens. Je vais bientôt savoir de quoi il s’agit, ou de qui …

Cela fait un mois que nous sommes arrivées dans cette ville. Les cartons s’empilent encore dans ma chambre et internet n’est toujours pas opérationnel. Depuis notre arrivée ici, je n’ai vidée que ceux de mes vêtements et de mes livres. A écouter ma mère, je passe trop de temps enfermée à lire au lieu d’avoir des amis. Des amis j’en ai une. C’est déjà pas mal je trouve. Jennifer à débarquer dans ma vie comme une tornade. Avec sa plastique de mannequin et son caractère excentrique, elle est tout l’opposer de moi. Et puis j’avais, Figaro. Le chat fantôme qui squatte mon lit depuis que nous sommes arrivées. Ce chat siamois prend ses aises comme s’il était encore vivant. Pour les papouilles c’est un peu compliqué mais je l’aime bien. Il ne demande pas trop d’entretien et me tient compagnie.

Depuis que nous sommes dans cette vieille maison, (grande sur deux étages et son auvent, elle me fait penser aux maisons typiquement américaine) j’ai fait des progrès : je ne sursaute plus au moindre bruit. Bon il y a bien le spectre d’un chat qui squatte dans ma chambre, mais pas de vilains fantômes chiants et exécrables. Certains esprit ont tendance à s’incrusté quand on ne les invite pas, ou élisent domicile dans leur demeure et ne veulent pas cohabiter.

Ornes fait partie d’une petite communauté de la liste des villages français détruits durant la Première Guerre Mondiale. Quelques maisons furent malgré tout reconstruites. Et le maire est très fier. Sa boulangerie. Son petit supermarché. Son cinéma. Son école primaire. Son église avec son cimetière. Voilà ce qui complète ce village.

C’est déprimant.

Nous avons déménagé à une centaine de kilomètres de notre dernier pied à terre par ce que ma mère voulait que l’on recommence notre vie ailleurs. Locronan ne me manquait pas tant que ça. Ni mon ancien lycée ni notre appart non plus … je m’adosse contre le mur.

Mon père me manque.

Avant la vie était simple et parfaite. Jusqu’à ce que tout s’écroule. Mes yeux me brûlent mais je ne veux plus pleurer. Cela ne sert plus à rien.

Après le décès de mon père, ma mère s’est réfugiée dans le travail. Ça et le fait que je sois devenue le vilain petit canard de la famille à cause d’un secret poussiéreux, ma vie est devenue horrible. Quand elle s’en est rendue compte, elle a décidé de partir. C’était sans prévoir que chaque année, on devrait s’en aller, encore et encore. Mon don perturbait les adultes. En primaire, cela amusait mes camarades mais les professeurs ne me regardaient pas du même œil. Je dérangeais.

Au moins depuis que nous sommes ici, même si elle travaille toujours autant, ma mère s’est rapprochée de moi. Elle est plus présente, plus à l’écoute. Mais c’est un peu tard. C’est durant mon enfance que j’avais besoin de son soutient. Dans tous les cas, je dois continuer à vivre et à supporter les fantômes qui me suivent, en espérant je ne sais quel miracle de ma part pour que je les fasse passer de l’autre côté.

Une odeur familière me chatouille les narines. Ma mère fait la cuisine. Je descends au rez-de-chaussée. Elle est debout devant la cuisinière en train de faire des crêpes.

—Tu es rentrée tôt.

—J’ai pourtant fait une double garde. La clinique va encore changer mes horaires. Tu vas encore être seule ma chérie.

Pourquoi changer !

La plupart des parents se couperaient un bras plutôt que de laisser leurs enfants seuls. Pas ma mère. Avec tout ce qui nous est arrivée, elle me fait confiance. Je suis plutôt ennuyeuse comme fille : je n’ai jamais séché les cours, j’ai une bonne moyenne. Bref une élève sérieuse quoi !

Je prends deux verres dans le placard pour les remplir de jus d’orange.

—J’irais faire les courses, on a plus rien dans le frigo.

—Bonne idée ma fille. (Elle attrape son sac à main et en sort des billets). Ça devrait suffire.

Je range les billets dans la poche de mon jean. Elle m’en donne toujours trop.

—Au fait, tu as remarqué les voisins d’en face ? c’est des ados de ton âge.

—Sans blague !

—Tu n’es pas sortie, pas vrai ? ce serait pourtant l’occasion de te faire des amis.

Je continue de l’écouter la bouche pleine.

—Il y a cette fille qui a l’air d’avoir ton âge, Jennifer c’est ça ? Et un garçon aussi. Un peu plus vieux. Il est du genre mignon.

Je manque de m’étouffer avec un morceau de crêpe. Entendre ma mère parlée des garçons de mon âge c’est perturbant.

—Mignon ? tu vas devenir cougar ou quoi ?

Elle débarrasse son assiette dans l’évier et se dirige vers l’escalier.

—Je suis peut être vieille mais je ne suis pas aveugle.

Je me lève aussi pour poser mon assiette et mon verre dans l’évier. Je me tourne ensuite vers elle.

—Léna, fait un effort. Ce serait bien que tu es des amis avant la rentrée.

Ma mère se mit à bailler. Je ne veux pas penser au lycée ni aux gens que je ne connaissais pas. Elle baille de nouveau à se décrocher la mâchoire.

—Je vais me coucher.

Je lui promis d’aller faire des courses dans l’après-midi. Avec un peu chance je croiserais Jennifer. Ma première nouvelle amie. Et d’aller voir le voisin, histoire de faire un effort. Ma mère s’arrête au milieu de l’escalier.

—Léna ?

—Oui ?

Son regard se voile, son visage s’assombrit.

—Je sais que c’est difficile pour toi. Surtout que c’est ta dernière année de lycée, que tu vas passer ton diplôme. Mais c’est ce qu’il y a de mieux à faire. Ton don s’intensifie, je le voie. Je sais que je travaille beaucoup, je ne peux pas faire grand-chose mais …

—Maman. Ça va.

—Sûre ?

—Je gère. Ne t’inquiète pas.

Elle m’adressa un sourire enjouer. Je fais pareille pour la rassurer. Un nouveau bâillement achève ma mère.

—Je t’aime ma chérie.

J’aillais lui répondre mais ma mère disparait dans l’escalier.

Je vais m’intégrer. Je dois m’intégrer. Après ma dernière année, je ferais partie du monde adulte. Je devrais trouver un boulot, un appart, une vie sociale. Refaire un autre enfer mais toute seule.

Toutefois aborder les gens n’est pas mon truc. Mon père disait toujours « Il faut être acteur de sa vie ». C’est ce que je compte faire. Du moins je vais essayer.