Une comtesse en Toscane

Castello de’ Corsi

Pendant que Sofia passait la soirée avec son mari, Carla, leur cuisinière, était chez sa fille. Installée sur une chaise devant la porte de l’une des deux chambres glaciales, à l’étage, elle était emmitouflée dans son châle pour se protéger le cou du courant d’air. Huit femmes étaient réunies dans la pièce. Alberto, qui avait trois ans, s’étant enfin endormi, elles s’affairaient. À la lueur d’une lampe à pétrole, Sara filait la laine dans un coin, Federica la dévidait du fuseau, et les autres, groupées autour de la table, tricotaient des chaussettes et des couvertures. Une couverture couvrait la fenêtre, garantissant qu’aucune lumière ne filtre par les fentes des persiennes. La nuit était d’un noir d’encre.

Peu à peu, le bruit rythmé des aiguilles qui s’entrechoquaient et la rotation du rouet se mêlèrent à la voix de Sara qui commença à fredonner très doucement. Parce qu’elles se sentaient seules, leurs maris à la guerre, et sans nouvelles d’eux, ces moments partagés leur réchauffaient le cœur. Quand, assises ensemble, elles travaillaient à leurs tricots en dépit du couvre-feu, elles se sentaient liées par une profonde solidarité. Grâce à elles, les hommes cachés dans les bois ne gèleraient pas au cours de l’hiver rigoureux qui les attendait.

Une fois l’armistice signé, les soldats, qui ne se battaient plus contre les Alliés, avaient déserté leurs postes dans l’armée italienne, risquant tout pour rentrer chez eux. Mais les Allemands, désormais occupants de l’Italie, voulaient les Italiens pour soldats, laboureurs, esclaves, ici ou dans des camps d’Allemagne. Les hommes avaient été nombreux à se réfugier dans les forêts des collines et à rejoindre les partisans. Certains, qui n’avaient jamais voulu se battre du côté allemand, avaient été mobilisés de force. D’autres ne voulaient plus se battre et beaucoup en avaient simplement assez du fascisme. Des hordes de paysans soutenaient le communisme, en nombre de plus en plus important. Aussi, parallèlement à la guerre mondiale, une guerre civile faisait rage entre les sympathisants fascistes et les opposants.