Inkarmations

J’ai apprécié la lecture de ce livre, l’écriture est agréable, l’histoire est intéressante, mais je pense que l’auteur n’est pas allé jusqu’au bout de son sujet.

Tout d’abord, en lisant la 4e de couverture, je m’attendais à des évènements, des scènes, des camps bien plus opposés et dont les enjeux allaient être débattus et peu à peu dévoilés. Eh bien, je me suis fourvoyée. En effet, "Inkarmations" c’est une histoire d’amour qui défie le temps et l’espace, y compris la cosmogonie… C’est un amour ambitieux dont l’auteur, selon mon sentiment (et cela reste très personnel), ne lui fait pas complètement honneur.

J’ai aimé passer ce temps de lecture avec les protagonistes, voyager à travers les époques, explorer des instants T où tout pouvait basculer. Les pages se sont vite tournées sans que je m’en rende compte, mais pas que pour les bonnes raisons. J’avais la sensation, y compris jusqu’à la fin, qu’il ne se passait pas grand-chose. Il y a des longueurs sur certains sujets et à d’autres moments des impasses, des descriptions que je trouve manquantes, bref des éléments qui auraient mérité d’être développés.

Si je m’appuie sur la 4e et sur ce qu’il y a de distillé dans le récit, l’auteur nous conduit vers une dualité qui oppose le Souverain des Abîmes et ses sbires, les rakchas (qui viennent de « Rakshasas », des démons de la mythologie hindoue aux caractéristiques très similaires des rakchas de Bordage), du reste, mais finalement nous connaissons peu leurs motivations, si ce n’est qu’ils œuvrent pour voir l’humanité disparaître. On entend parler du système hiérarchique, de ses fils préférés (qui sont 10 filles chez les hindous), etc. Mais rien de plus n’est développé, on ne va jamais explorer chez eux. À croire que la dualité ne s’exprime que par le côté des « gentils » en plus des quelques scènes d’affrontements.

Leurs opposants sont donc les karmacharis, les ciodras les « sages » du Conseil et les Seigneurs du Karma : il y a également ici une hiérarchie pyramidale, très structurée, chacun agit et va selon les codes établis. Les karmacharis sont au cœur du récit, puisque c’est eux que l’on suit en missions, lesquelles sont de déjouer les tentatives des rakchas de faire basculer la trame karmique de l’humanité, comprendre de la détruire. Les Seigneurs du Karma veillent donc à un certain équilibre de l’ensemble, laissant parfois l’humanité s’entre-déchirer...

Après l’arène posée, que se passe-t-il ? Un triangle amoureux va naître, celui de Alyane, Eliakim et Djegou, les deux premiers étant les amoureux et le dernier celui qui tient malheureusement la chandelle. Cependant, entretenir une relation amoureuse est proscrit par la hiérarchie. Donc cette intimité et cette quête pour la retrouver va avoir ses conséquences et bien au-delà de ce que l’on pouvait imaginer. Mais peut-être que depuis le début, tout était écrit dans la trame et tout devait se passer ainsi ?

À l’aide de deux autres protagonistes, côté ciodras (les « ingénieurs / techniciens » qui permettent au karmacharis de se faire passer pour des humains quand ils sont en mission), nous allons en apprendre davantage sur le Vimana, le lieu où vivent ces individus non-humains. C’est un endroit que j’ai d’ailleurs eu beaucoup de mal à me représenter, les descriptions sont minimalistes, succinctes et répétées. Pourtant c’est un pan de l’histoire très important qui arrive tardivement et qui dévoile l’aspect spirituel du récit.

C’est un ouvrage philo-ethno/anthropo-spirituel ? Bordage s’est effectivement beaucoup inspiré de l’hindouisme, bien au-delà du simple principe des réincarnations. Toutefois, il adopte un raisonnement intéressant, que je ne peux dévoiler sans spoiler, mais qui donne une place prépondérante aux humains. Des créateurs qui s’ignorent. Et je vois là une analyse très anthropocentriste qui valorise l’humain sur l’autel des religions, pour peut-être s’en émanciper.

Mais c’est selon moi donner bien trop de pouvoirs à notre espèce, qui est capable du pire (cela, effectivement, Bordage nous le fait comprendre). Si l’humain est capable de créer, l’arbre l’est tout autant, par sa collaboration avec ses pairs et les autres espèces aussi bien végétales qu’animales. Si nous sommes fascinés devant nos constructions, souvent démesurées, nous devrions l’être devant les forêts vierges, devant tant de beauté et d’ingéniosité. Et être alors plus avertis, sensibles et opposés par tant de destruction provoquée par les humains. Bref, je digresse et extrapole le propos.

Ce que j’ai aimé : traverser des époques totalement différentes avec le trio de karmacharis. Je n’ai pas été perdue parmi les nombreux personnages et allers-retours dans le temps. Voir la création et l’équilibre du monde être abordées via ces deux forces extérieures, avec un traitement SF, c’était surprenant et intéressant.

Ce que j’ai moins aimé : la plupart des personnages ne sont pas humains, leurs comportements diffèrent donc légèrement par manque d’émotions et sentiments, or régulièrement les dialogues ne m’ont pas convaincue. "Inkarmations" c’est tout de même de la romance, c’est ce fil rouge qui se déploie au fil des pages, et pourtant j’ai trop rarement été intéressée par ce dénouement.

L’une des périodes traversées, 2045, ne m’a pas non plus enthousiasmée, j’ai trouvé que le travail d’anticipation n’avait pas été assez poussé.

Et enfin, la Terre n’est pas seule, il y a eu conquêtes spatiales (avec je suppose terraformations) et d’autres formes de vie… C’est évoqué, mais de manière subtile pour ne pas dire survolée, et j’ai eu la sensation que l’auteur était gêné par ce détail (mais tenait à le faire apparaître), tout comme son rapport au temps. Il lui était nécessaire de préciser à chaque fois que nous étions sur des échelles de temps « humains », calendrier grégorien (si je ne dis pas de bêtise). Bref, j’ai eu le sentiment que traverser les périodes de manière extérieure à l’humanité n’était pas simple à expliquer au sein de la diégèse.

Premier livre que je lis de Pierre Bordage. C’est un auteur qui a écrit un certain nombre d’ouvrages avec une communauté de lecteurs et lectrices assez fervente, j’en attendais donc beaucoup (peut-être trop) de cette rencontre livresque. Suis-je satisfaite ? Oui. Mais suis-je déçue ? Légèrement. Est-ce que je le recommande ? Oui, assurément.

Je pense m’intéresser à d’autres ouvrages de l’auteur, notamment la saga « Arkane » et voir si j’accroche mieux à son univers et à son style.

Une merveilleuse lecture, une autre idée du karma, une autre idée de l'univers et de la vie, une belle plume, une histoire prenante.

Une lecture distrayante mais les relations entre les personnages sont peu probables, bien souvent leurs réactions sont incompréhensibles ou peu crédibles. Le tout oscille entre bavardages trop longs et moments d'action un peu trop vus et revus. Pas un coup de cœur.