Mon pays réinventé

En 1888 nous nous sommes adjugé la mystérieuse île de Pâques, le nombril du monde, ou Rapanui, comme elle s’appelle dans la langue pascuane. Elle est perdue dans l’immensité de l’océan Pacifique, à deux mille cinq cents milles de distance du Chili continental, environ six heures d’avion de Valparaiso ou de Tahiti. Je ne suis pas sûre de la raison pour laquelle elle nous appartient. En ce temps-là, il suffisait qu’un capitaine de bateau plantât un drapeau pour prendre légalement possession d’une tranche de la planète, même si ses habitants – appartenant, dans ce cas, à la paisible race polynésienne – n’étaient pas d’accord. C’est ainsi qu’agissaient les nations européennes ; le Chili ne pouvait rester à la traîne. Pour les Pascuans, le contact avec l’Amérique du Sud fut fatal. Au milieu du XIXe siècle, la plus grande partie de la population masculine fut emmenée au Pérou pour y travailler comme esclave dans les gisements de guano, tandis que le Chili haussait les épaules devant le sort de ces citoyens oubliés. Ces pauvres gens furent à ce point maltraités qu’en Europe s’éleva une protestation internationale et, à la suite d’un long combat diplomatique, les quinze derniers survivants furent rendus à leurs familles. Ils étaient porteurs du virus de la variole, et en peu de temps la maladie extermina quatre-vingts pour cent des Pascuans restant sur l’île. Le sort des autres ne fut pas meilleur. Les brebis dévorèrent la végétation, transformant l’île en un éboulis de lave pelé, et la négligence des autorités – dans ce cas la Marine chilienne – plongea les habitants dans la misère. Au cours des vingt dernières années, le tourisme et l’intérêt du monde scientifique ont sauvé Rapanui.