Le Soleil suivant, Tome 2 : La Belle de Haarlem

- Pardonnez-moi ce retard.

Elle n’avait pas entendu Antje entrer. La diamantaire avait les traits tirés et les yeux rougis.

- La poussière..., dit-elle pour excuser son allure.

Elle avait perdu son entrain habituel et laissa Sarah converser seule, la relançant juste par moments pour éviter d’avoir à parler à son tour. La Vénitienne s’en était presque aperçue et tenta de chasser la mélancolie de son amie, mais rien n’y fit. La veuve Riewertz avait subi tant d’épreuves que son cœur était aussi tanné que le cuir de sa peau et Sarah savait qu’il était inutile de la questionner. Elle fit semblant de ne pas s’apercevoir du malaise et lui proposa une promenade dans la Warmoesstraat où Antje aimait admirer l’architecture des plus belles maisons de la ville. Celle-ci accepta mais resta mutique durant leur sortie. Sarah lui raconta les plus belles fêtes de Venise organisées durant le Carnaval, auxquelles elle assistait en se faisant passer pour chrétienne : les scènes flottantes sur le Grand Canal qui représentaient des tableaux de la mythologie et crachaient des jets d’eau jusqu’à dix toises de haut, les régates que les gondoliers finissaient toujours par gagner, les tréteaux sur la place Saint-Marc avec leurs spectacles, astronomes, acrobates et animaux savants, les chasses aux taureaux dans les rues et leurs cortèges de blessés, la danse moresca effectuée le jeudi gras et, surtout, les masques, que tous portaient, du plus humble au plus puissant, et qui reléguaient chacun au rang de mystère. Sarah parla longuement, avec fougue, de sa Venise, dans laquelle elle ne se sentait ni juive ni catholique mais citoyenne, simplement.

- Et cela je l’ai pu parce que j’ai caché ma religion et mes origines, j’ai dissimulé tout ce que j’aimais et que mon père m’avait appris, j’ai acquis une forme de liberté au prix de nombreux reniements. Je ne le regrette pas, mais, aujourd’hui, je sais que je ne le ferais plus. Je l’ai payé en étant emprisonnée dans une cellule, seule, trois mois, sans pouvoir respirer autre chose que l’air vicié de mon cachot. Aujourd’hui, j’ai changé, et depuis que je suis à Amsterdam je me sens plus libre que jamais. Mais j’en ai compris le prix. Et je vous le dois aussi, Antje.