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Les sœurs Shelley, Tome 1 : Le frisson de la passion



Description ajoutée par nathc 2011-09-10T21:23:23+02:00

Résumé

Bordeaux, 1814. Aux abois, Meg Shelley n’a pas d’alternative : il lui faut regagner l’Angleterre au plus vite, et par n’importe quel moyen. Quitte à se glisser dans la peau d’une autre. Aussi saisit-elle l’occasion inespérée d’embarquer à bord du Rose Falmouth, quand l’équipage sauve de la noyade un officier blessé — officier dont Meg prétend aussitôt être l’épouse. Mais une fois enfermée dans sa cabine avec le ténébreux major Ross, une fois que celui-ci reprend conscience et lui apparaît bien plus séduisant et viril qu’elle ne l’avait d’abord cru, Meg mesure les conséquences de son audace : car son prétendu époux la croit prête à tout, même à lui offrir son corps en échange d’une traversée clandestine. Une méprise qui, tout en allumant en Meg une folle colère, fait aussi courir de brûlants frissons sur sa peau… À propos de l’auteur : Passionnée par les coulisses de l’Histoire, Louise Allen affectionne tout particulièrement l’époque mouvementée de la Régence anglaise, si riche en intrigues de cœur et de cour. Le frisson de la passion est le premier volume de la trilogie des sœurs Shelley, trois femmes qui vont devoir se battre pour gagner leur indépendance... et l’amour.

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Classement en biblio - 68 lecteurs

extrait

Prologue

Juillet 1808.

— Le nord du pays de Galles ? répéta Celina hébétée, mais c’est à des centaines de kilomètres d’ici, Meg ! Nous ne te reverrons jamais !

— Si au moins nous étions sûres que tu pars pour être plus heureuse…

Arabella lui lança un long regard de commisération, avant de reprendre :

— Mais chez Tante Caroline ? Elle vit en recluse et…

— Et elle est folle à lier ! la coupa Meg en ravalant ses larmes. Tu as lu les horribles lettres qu’elle envoie à Papa ? Elle est pire que lui !

Meg s’élança vers ses sœurs pour saisir leurs mains, en quête de réconfort. Les siennes étaient glacées et son visage livide.

— Je préférerais rester avec vous et être fouettée tous les jours plutôt que d’aller là-bas !

— Peut-être que si tu promets à Papa de ne plus lire de romans…, suggéra Arabella dans un soupir, en replaçant dans son panier à ouvrage la vieille chemise qu’elle reprisait pour l’ouvroir des pauvres.

Meg sentit son cœur se gonfler de tendresse pour son aînée. A dix-neuf ans, Arabella essayait courageusement de faire ce que l’on attendait d’elle et de remplir tous ses devoirs familiaux, malgré les constantes rebuffades et l’éternelle froideur de leur père. Comment y parvenait-elle avec tant de calme, tant de patience ? Et comment pouvait-elle rester aussi aimante et aussi compréhensive à l’égard de Celina et d’elle-même ?

— Quoi ? Ne plus jamais rien lire d’autre que la Bible ? Ce sera sans fin, Bella. Après l’interdiction de lire des romans, ce sera celle de faire des promenades, de faire pousser des fleurs, de parler aux gens, de chanter, que sais-je encore ? Je ne peux pas et tu le sais bien… Je ne peux pas cesser de penser, ou de faire ce qui me donne un minimum de plaisir, c’est absolument impossible. Sinon, je deviendrais vite aussi folle que Tante Caroline. Passe pour le ménage, la lessive, la cuisine, le raccommodage, les prières tout la sainte journée. Je veux bien travailler dur, mais pas être punie pour désirer simplement un peu de joie et de beauté dans ma vie !

— Je ne comprends pas ce qu’il a voulu dire à propos de Maman, reprit Celina, les sourcils froncés. Qu’est-ce que cela signifie que nous avons son « sang de pécheresse » dans les veines ? Qu’est-ce qu’elle a bien pu faire de mal ?

— Depuis qu’elle est morte, Papa n’est plus le même homme…

Arabella jeta un coup d’œil nerveux vers la porte, comme si elle s’attendait à ce que le révérend Shelley fasse soudain irruption dans la pièce, sa férule à la main et le reproche aux lèvres.

Meg secoua impatiemment la tête. Elles avaient discuté de tout cela bien des fois sans qu’aucune d’elles ne parvînt à comprendre pourquoi, au-delà de la douleur de la perte, un homme naturellement strict et sévère comme l’avait toujours été leur père s’était mué en un véritable tyran domestique, plein d’amertume et de soupçons.

— Il prétend que la santé de Tante Caroline se détériore et que je dois aller vivre avec elle pour lui prodiguer à la fois mes soins et ma compagnie. Or, elle est assez riche pour pouvoir engager au moins une douzaine d’infirmières et de caméristes ! C’est seulement une nouvelle façon de me punir. C’est insupportable et nous serions toutes mieux au couvent ! Toi, Bella, tu es destinée à t’occuper de lui quand il sera vieux et dépendant. Toi, Lina, ta voie est toute tracée également : tu épouseras un vicaire des environs, à condition que Papa en trouve un qui soit assez ennuyeux et puritain pour lui plaire. Et pour mon compte, comme il estime qu’il n’y a rien à tirer de moi, il me fait débarrasser le plancher, au plus vite !

— Mais que pouvons-nous faire ? murmura Celina.

Meg secoua la tête. A dix-sept ans, Celina, la benjamine, était bien trop douce, bien trop menue pour faire face à tant de froideur et d’injustice, incapable de se rebeller contre les mauvais traitements que leur père leur infligeait.

Sans se concerter, les trois sœurs levèrent ensemble les yeux vers le napperon brodé encadré au-dessus du foyer refroidi. Il portait un dicton, l’un des favoris du révérend Shelley, qui le tenait pour parole d’évangile. Arabella en avait brodé la première ligne, Margaret, dite Meg, la seconde et Celina s’était chargée de la bordure. On y lisait :

« La femme est fille d’Eve,

Née pécheresse, elle le demeure toujours. »

— Ce n’est pas un cheval qui s’approche dans le sentier ? demanda soudain Meg.

Elle s’empressa d’aller ouvrir la fenêtre ; une distraction était toujours la bienvenue dans la monotonie de leurs journées. Perchée dans les combles du presbytère de Martinsdene, la salle de classe où elles se tenaient offrait un large panorama sur l’église et les abords du village.

— Oh non ! Ne fais pas ça ! Tu sais que Papa n’aime pas nous voir pendues aux fenêtres. Il se met en fureur chaque fois qu’il nous attrape à le faire et nous traite de « filles de peu ».

Penchée à la lucarne, le corps à demi au-dehors, Meg ignora l’avertissement de Celina.

— C’est James ! s’écria-t-elle.

Une sensation très étrange s’emparait d’elle quand elle le voyait. Son cœur se mettait à battre précipitamment ; elle avait envie de rire, de danser… Etait-ce cela, l’amour ? Oh ! oui, certainement !

— Il est revenu, comme il l’avait promis, et il est en uniforme ! Il a pris une commission d’officier dans l’armée, malgré l’opposition de son père. Qu’il est beau ! Bella, tu ne trouves pas qu’il est magnifique, ainsi ?

— James Halgate peut bien être un véritable adonis…, commença Arabella.

Son sens des réalités était proverbial, comme la pusillanimité de Celina. Meg se recula un peu et se retourna vers sa sœur aînée, attendant le couperet de la raison.

— Et aussi un jeune homme très agréable et bien élevé… Mais il n’en demeure pas moins vrai que Papa ne voudra jamais le laisser te fréquenter et tu le sais fort bien. Dois-je te rappeler ce qui s’est passé, avant son départ pour le bureau de recrutement ? Papa t’a enfermée au grenier, au pain sec et à l’eau, durant toute une semaine. Vraiment, Meg…

Meg se pencha de nouveau par la lucarne, vérifiant que son père n’était pas quelque part à l’observer, et fit de grands gestes de la main pour attirer l’attention du jeune sous-lieutenant qui s’approchait.

— Il faut tout de même qu’il me voie. Regarde-le, ajouta-t-elle pour Celina qui venait de la rejoindre à la fenêtre. Il est beau n’est-ce pas ?

La jolie bouche de la benjamine se retroussa en un sourire, mais elle jeta néanmoins un regard nerveux par-dessus son épaule avant d’approuver :

— Oh oui, il est très bien ! Son père sera fier de lui. Il lui pardonnera sûrement d’être parti s’amuser à Londres pendant toute une année…

— Ça y est, il m’a vue, murmura Meg.

Quelque chose se contracta en elle, comme si son cœur s’arrêtait de battre un instant. Toutes ces nuits à rêver de son amour d’enfance et à présent, voilà qu’il était là, devant le presbytère ! Elle se sentait exactement dans les mêmes dispositions que lorsqu’il était parti. Elle l’aimait, elle en était sûre, aussi sûre qu’il y avait des boutons d’or dans la prairie ensoleillée où ils avaient couru main dans la main et avaient échangé tant de baisers innocents. Encore que, à la réflexion, James n’était peut-être pas si innocent que cela…

Il tira sur ses rênes, se dressa sur ses étriers et retira son shako à la haute calotte pour l’agiter au-dessus de sa tête en guise de salut aux deux jeunes filles, tout en surveillant prudemment les alentours. Tout le monde, à Martinsdene, connaissait le révérend Shelley et savait quels étaient ses principes sur la conduite de ses filles, qu’il élevait seul depuis la mort de leur mère.

— Qu’est-ce qu’il fait ? demanda Celina alors que le jeune sous-lieutenant montrait un point situé au bord du ruisseau qui coulait de l’autre côté du chemin.

— Il m’indique qu’il va me laisser un message dans le vieux saule, comme nous le faisions avant son départ, expliqua Meg, les deux mains pressées sur sa poitrine, sans pour autant parvenir à empêcher son cœur de battre la chamade. Cela veut dire qu’il me donne rendez-vous !

C’était un véritable conte de fées ; son chevalier à l’armure étincelante était venu la chercher, il abattrait les murs du château où elle était retenue prisonnière, fendrait de son épée la barrière de ronces impénétrables qui lui barrait la route et l’emporterait loin, vers une vie de félicité et de bonheur.

Mais pour l’heure, il s’éloignait. Meg suivit des yeux son élégante silhouette sur sa jument baie aussi longtemps qu’il fut en vue, et quand il disparut enfin derrière une haie d’arbres il n’y eut plus rien d’autre à faire que rejoindre ses sœurs. Pour se venger, elle envoya son panier à ouvrage rouler à l’autre bout de la table.

— Oh ! Meg, tu as vraiment de l’affection pour lui ? demanda Arabella avec son expression familière, où la sympathie se mêlait toujours à un peu d’agacement. Tu sais que Papa te fouettera s’il le découvre ?

— Je m’en moque !

C’était vrai. Elle ne redoutait plus autant la cinglante baguette de noisetier qu’utilisait leur père pour les châtiments corporels depuis qu’elle avait appris à se retirer dans ses pensées et dans son imagination lorsqu’elle était battue ou bien sermonnée.

— S’il voulait nous témoigner un peu de confiance, je n’aurais pas besoin de chercher à dissimuler ! reprit-elle. J’ai dix-huit ans et je sais ce que j’ai à faire. J’aime James depuis que je suis toute petite et je sais qu’il m’aime aussi. Nous nous sommes promis l’un à l’autre. Quel mal y a-t-il à cela ? Quel péché commettons-nous ?

L’amour était-il donc un crime, comme le meurtre ou le vol ? Elle avait jeté cette question au visage de son père, une fois, quand elle avait quinze ans, et elle avait eu du mal à s’asseoir ensuite durant une bonne semaine.

— C’est juste que tu défies l’autorité de Papa et qu’il ne le supporte pas, répondit Arabella, le front creusé d’une ride d’inquiétude. Sinon, je reconnais que James est un parti tout à fait acceptable, oui, tout à fait, c’est certain… Lina, veux-tu être gentille et aller demander à la cuisinière si nous pouvons avoir un peu de limonade ?

De petits frissons d’excitation parcoururent le dos de Meg. De toute évidence, Bella cherchait à éloigner leur cadette pour lui parler en particulier.

En effet, cette dernière attendit que la porte se fût refermée sur Celina pour reprendre la parole.

— De nous trois, c’est toi qu’il punit le plus, parce que tu es la plus rêveuse, la plus romantique… Et aller t’enfermer chez Tante Caroline serait un sort terrible, pour toi. Alors écoute : Si James t’aime vraiment, je veux dire s’il veut bien t’épouser… eh bien, je vous aiderai, d’une manière ou d’une autre. Mais il ne faut rien dire à Lina, car il est important qu’elle puisse jurer qu’elle ignorait tout et comme de mon côté, je ne fais jamais rien de mal, Papa ne pourra pas me soupçonner de t’avoir aidée en quoi que ce soit.

Un plan pour échapper au destin tout tracé que son père voulait lui imposer ? La joie, l’excitation et l’appréhension tout ensemble gonflèrent la poitrine de Meg. L’angoisse de la séparation, aussi. Ses deux sœurs et elle formaient un petit noyau si solide, si rassurant… Mais ce ne serait pas comme lors de la mort de leur mère : Bella et Lina seraient toujours là, près d’elle en pensée au moins, et elles seraient toutes les trois réunies de nouveau, un jour.

— Oh ! merci, Arabella, merci ! balbutia-t-elle. Mais l’idée de vous quitter…

— Dans n’importe quelle autre famille, nous aurions dû aussi nous séparer bientôt, pour suivre un mari. Tu vas beaucoup nous manquer, ma chérie, mais d’un autre côté, ce sera beaucoup plus tranquille ici sans ta constante révolte contre Papa et peut-être que Celina pourra se calmer un peu. J’ai peur qu’elle ait vraiment les nerfs malades.

Arabella lui prit doucement la main. La sienne était chaude et forte.

— Je veux que tu sois heureuse et si tu penses pouvoir l’être avec James, cela me suffit. Bien sûr, il va lui falloir se parjurer en certifiant que Papa a bien autorisé votre mariage, mais une fois que ce sera fait, nul ne pourra plus y trouver à redire, pas même Papa, parce que ce serait un terrible scandale…

— James est un bon parti, tu l’as dit toi-même. Une fois que nous serons mariés, il n’y aura pas de scandale.

L’esprit de Meg battait déjà la campagne.

— James va devoir partir pour le continent. J’ai jeté un coup d’œil sur le Morning Post de Papa, hier matin. Il disait qu’on allait envoyer des troupes en Espagne et au Portugal. S’il part, j’irai avec lui. Mais… Oh ! Arabella, il se pourrait que nous ne nous revoyions pas avant des années !

La façon dont sa sœur la serra dans ses bras était presque un adieu.

— Si tu étais partie pour le pays de Galles, chez Tante Caroline, cela n’aurait pas été mieux… Je veux que tu sois heureuse, Meg. Mais que James te propose le mariage d’abord. S’il fait cela, alors l’amour triomphera. D’une manière ou d’une autre.

Chapitre 1

20 avril 1814. Bordeaux.

Le vent qui venait de l’océan et s’engouffrait dans l’estuaire de la Gironde était glacial. Meg, frigorifiée, resserra son châle autour de ses épaules. Il y avait bien longtemps qu’elle n’avait rien mangé de chaud ni de consistant et le sac qui contenait sa pelisse était resté sur le champ de bataille de Toulouse, dans un chariot abandonné. Pourtant, c’était bien de froid qu’elle frissonnait et non de peur.

Le long du quai, un navire battant pavillon britannique était aux amarres, en partance pour l’Angleterre. De nombreuses personnes s’y dirigeaient pour y embarquer. Meg se redressa, les épaules en arrière et le menton haut. Il était important de paraître respectable, efficace et pas le moins du monde dans le besoin. Quelqu’un accepterait peut-être de la prendre à son service durant la traversée, lui offrant ainsi son passage. On ne pouvait pas vraiment appeler cela un plan, mais rien d’autre pour le moment ne se présentait à son esprit.

Elle avisa un gentleman, grand, élancé, une dame à son bras, un valet et une femme de chambre derrière eux, un monceau de bagages… Ces gens-là n’avaient certainement pas besoin d’elle. Un autre gentleman, entre deux âges, une valise à la main, était accompagné d’un homme à l’attitude déférente. Quelque commerçant ou financier sans doute, voyageant avec son employé, songea-t-elle.

Et encore des bagages…

Des porteurs passèrent devant elle avec un chariot à bras chargé de malles. Quand ils se furent éloignés, Meg découvrit alors un autre passager, qu’elle n’avait pas remarqué jusque-là. Elle se figea un instant, impressionnée, malgré tout ce qu’elle avait pu voir et endurer depuis des mois. Un cavalier de l’Apocalypse — pas moins — s’avançait sur le quai, mais à pied et en boitant.

Meg reprit le contrôle de ses nerfs à vif. Allons, ce n’était qu’un homme, un être humain comme elle, fait de chair et de sang. Mais quel homme ! Elle ne pouvait détacher ses yeux de lui, comme si le paysage tout entier s’effaçait et se fondait autour de sa personne.

Grand et bien bâti, sanglé dans l’uniforme vert de la Rifle Brigade, il était tête nue et portait un sabre briquet à la ceinture. Son écharpe rouge d’officier, réglementairement nouée autour de sa taille, était tachée de poudre, de poussière et de traces sombres qui pouvaient être du sang. La jambe droite de son pantalon était déchirée et Meg aperçut un bandage qui partait du dessus de son genou pour s’arrêter au revers de ses bottes.

Il avait les cheveux noirs, une barbe dure ombrait ses joues et il clignait des yeux sous l’effet de la réverbération du soleil sur le fleuve. Il semblait scruter le quai comme pour y repérer des tireurs embusqués.

Il ne fut pas long à remarquer Meg. Elle se détourna, se forçant à paraître indifférente, tandis qu’elle se sentait détaillée par son regard aigu. Elle avait appris à jauger rapidement les hommes, une habitude qu’elle allait devoir perdre, à présent que ce n’était plus une question de vie ou de mort. L’officier n’avait rien de particulièrement menaçant et, pourtant, elle avait rarement autant senti le parfum du danger autour d’un inconnu.

Hirsute, sale et blessé, la mâchoire carrée, mais l’air paradoxalement rêveur, il dégageait une étrange impression de brutalité et de douceur mêlées… Dangereux et séduisant tout à la fois, incontestablement, comme seul le diable pouvait l’être.

Il la dépassa, suivi par un porteur qui poussait une brouette chargée de quelques bagages râpés. Meg avait entendu dire, pas plus tard que la veille, qu’on envoyait la Rifle Brigade en Amérique, depuis la reddition de Napoléon. Il était évident cependant que l’homme qu’elle voyait passer devant elle en avait fini avec les vicissitudes de la guerre. Tout comme elle, il rentrait chez lui.

Mais pouvait-elle encore qualifier l’Angleterre de « chez elle » ? Elle l’avait quittée depuis si longtemps… Sans doute s’y sentirait-elle plus étrangère qu’en Espagne. Mais c’était là que vivaient ses sœurs et elle devait les retrouver.

D’autres passagers arrivaient encore… Laissant l’officier blessé et tout ce qu’il pouvait représenter, Meg reporta son attention sur une dame espagnole ou portugaise, bien vêtue, suivi de trois… non, de quatre enfants et portant le cinquième dans ses bras.

Meg se peignit sur le visage un sourire aimable et respectueux, afin d’aborder la dame visiblement débordée.

L’un des enfants, un petit garçon, la dépassa, criant de joie en suivant son cerceau qui rebondissait sur les pavés. Quel bonheur, songea fugitivement la jeune femme, de voir un enfant heureux après tant de morts et de destruction !

— José ! cria la dame, reviens tout de suite ici !

Sa voix était chargée d’anxiété et d’épuisement. Elle accueillerait sûrement un peu d’aide avec gratitude.

— Excusez-moi, señora, puis-je vous être utile ? J’ai vu que vous aviez plusieurs enfants et…

— José !

Bruit sonore d’une chute dans l’eau…

Meg se retourna vivement et vit le bord du quai vide, tandis que le cerceau oscillait, puis tombait à l’eau à son tour.

Elle ramassa ses jupons et se mit à courir, puis se pencha au-dessus de l’eau brune qui bouillonnait à quatre bons mètres en dessous d’elle. Le courant était rapide à cet endroit, du fait du flux montant et agité. Personne ne se risquerait à nager là-dedans, elle pas plus qu’un autre. On voyait de temps à autre la petite tête de l’enfant émerger des vagues, puis replonger.

Meg courut le long du quai, en essayant de ne pas le perdre des yeux. Où donc étaient passés tous les badauds ? Pourquoi ne parvenait-elle pas à rassembler le peu qu’elle savait de français pour appeler à l’aide ?

Soudain, une silhouette sombre passa en trombe à côté d’elle et se jeta l’eau, en un long plongeon qui l’amena juste derrière l’enfant.

— A l’aide ! put-elle enfin crier, alors que des hommes s’approchaient en courant. Une corde, vite !

Celui qui avait plongé avait rejoint l’enfant. Tremblante, la respiration presque suspendue par l’attente de ce qu’il allait se passer, Meg le vit saisir le garçonnet sous les bras, maintenir sa tête sur son épaule et commencer à nager vigoureusement vers le bord du quai. Mais le courant contraire le gênait et le ralentissait dangereusement. Elle reconnut l’officier blessé. Avec sa jambe bandée qui le faisait boiter, c’était un miracle qu’il pût seulement nager.

Elle vit l’endroit précis vers lequel il se dirigeait : une échelle rouillée, encastrée dans la muraille du quai, et évalua de l’œil la distance qui l’en séparait. Y parviendrait-il seulement ?

***

Le souffle de plus en plus court et la gorge brûlante, Ross constatait que la douleur fulgurante qu’il avait ressentie dans la jambe au moment de son plongeon avait fait place à une quasi totale insensibilité, qui le paralysait, l’entraînant vers le fond. Il assura de nouveau sa prise sous les aisselles du petit garçon et lutta contre le courant boueux, à la seule aide de son bras et de sa jambe gauches. Il visait une échelle de descente dont les barreaux, battus par l’eau du fleuve, étaient recouverts d’algues. Evidemment, le fait d’avoir plongé avec ses bottes ne facilitait pas les choses et, à présent, une seule de ses jambes répondait encore.

L’enfant s’agitait contre lui.

— Ne bouge pas, reste bien sage, lui dit-il en espagnol.

Pas question de laisser ce gamin se noyer, s’il pouvait empêcher cela. Il avait vu trop de morts, et trop dont il avait été, bien malgré lui, responsable. Plus de morts, non, plus de morts… Encore moins celle d’un enfant !

Tout à coup, la muraille de granit fut devant lui, mais pas l’échelle de descente : le courant les en avait écartés. Et personne, là-haut, pour les tirer de là ; rien qui puisse les aider… à moins…

— Petit ?

Le gamin étouffait et s’étranglait dans la vague.

— Tu vois l’anneau, là ?

Un peu au-dessus d’eux, un gros cercle de bronze, bien large, prévu pour amarrer les plus grosses unités, d’un diamètre suffisant pour que l’enfant pût y passer la tête et les épaules, et garder ainsi la tête hors de l’eau.

— Sí !

Il avait du cran, cet enfant… Il était blanc de terreur, mais il avait levé la tête et vu l’anneau.

— On va l’attraper et tu vas t’y accrocher, bien compris ? Allons-y !

Il leva le petit garçon au-dessus de lui, l’effort le faisant lui-même s’enfoncer sous la surface. Le premier essai fut infructueux. Ross rassembla alors toutes ses forces et d’une seule jambe parvint de nouveau à se propulser hors de l’eau. Il se sentit soulagé du poids de l’enfant et, refaisant surface, le vit qui s’accrochait à l’anneau rouillé, comme un petit singe terrifié. Il avait réussi.

— Tiens bon, maintenant !

Le petit acquiesça, accroché au métal, le torse engagé dans l’anneau, les bras au-dessus, le visage crispé par l’effort et la concentration.

Mais bientôt, la vision de Ross se brouilla. Ses muscles étaient en feu et ses membres de plus en plus lourds, comme de véritables gueuses de plomb.

« Bon, songea-t-il avec un calme étrange, voilà… Je suis fichu. Treize ans à me faire tirer dessus, à sabrer, à canonner, à mourir à moitié de faim à travers toute la péninsule Ibérique, à gagner finalement cette idiotie de guerre, pour finir au fond d’un fleuve français… »

Il essaya de lutter encore un peu, d’utiliser ses bras, mais quelque chose lui disait que cette bataille-là serait perdue : cette fois, il ne parviendrait pas à s’en tirer.

« Quelle importance, après tout ? Ce qui est fait est fait. Le gamin est tiré d’affaire, ils vont venir le sortir de là. Pour le reste… »

Quelque chose le frappa soudain au seul endroit de sa personne qui n’était pas encore tout à fait insensible : son visage rencontra quelque chose de dur. Il parvint à refermer ses mains dessus : c’était une barre métallique.

« Tenez bon » ? C’était bien cela, qu’il avait entendu ?

— Tenez bon !

Cette fois-ci, les paroles résonnèrent clairement dans son oreille. Une voix féminine, qui s’exprimait en anglais. Ce n’était pas possible, il devait délirer.

— Ça va aller…

On l’agrippa par le bras puis par les épaules, et tout devint noir.

***

Meg repoussa une mèche rebelle de ses yeux et se releva pour verser de l’eau terreuse dans le baquet de bois. Sa jupe trempée collait désagréablement à ses jambes, mais il n’y avait rien qu’elle pût faire pour y remédier dans l’immédiat. Elle n’en avait qu’une autre et ne pouvait risquer de l’endommager aussi. Il lui faudrait se redonner un air acceptable, pour le moment où elle aurait à répondre aux questions de son « patient ».

Mains sur les hanches, elle examina l’homme étendu toujours inconscient sur la couchette avec un rien de satisfaction. Il n’avait pas fallu moins de quatre solides dockers pour lui passer un cordage sous les bras et parvenir à le hisser hors de l’eau tandis qu’elle-même, perchée sur l’échelle de métal, de l’eau jusqu’aux cuisses, s’agrippait désespérément à ses bras pour le maintenir à la surface. Inerte et massif dans ses vêtements trempés, il était lourd comme un cheval mort.

L’équipage de la Rose de Falmouth ne lui avait posé aucune question embarrassante, quand elle était montée à la coupée à la suite de l’officier blessé que l’on transportait sur un brancard. Elle accompagnait le major Ross Brandon et, comme elle l’avait supposé, cela avait suffi à la faire admettre à bord. Par bonheur, elle avait pu lire son nom sur ses bagages. Quant à son grade et son unité d’appartenance, elle avait à présent suffisamment d’expérience de l’armée pour les avoir déduits sans aucune difficulté. Elle n’avait pas pour rien, durant dix-huit mois, coupé des culottes et des vestes d’uniforme pour aider à dégager un membre criblé par la mitraille ou entamé d’un coup de sabre.

Elle n’avait cependant pas eu à le faire, cette fois. Les matelots qui avaient transporté le major jusqu’à sa cabine s’en étaient chargés pour elle. La glorieuse tenue verte de la Rifle Brigade gouttait à présent sur les planches du pont, pendue à des clous plantés dans la cloison de bois. L’officier n’avait plus sur lui qu’un drap qui le recouvrait des cuisses jusqu’à la poitrine.

Il s’était entaillé la joue sur le métal rouillé et rongé de l’échelle. Meg avait lavé la blessure et versait de nouveau de l’eau propre dans le bassin métallique qu’elle avait posé près de lui. Elle ouvrit ensuite la trousse de cuir fatigué qu’elle avait également placée à portée de main. Elle en tira une paire de ciseaux et entreprit de couper le bandage détrempé de l’officier. Sans reprendre connaissance, il poussa un soupir de douleur.

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Commentaires récents

Lu aussi

Pendant les guerres napoléoniennes, Meg s’était enfuie avec son amoureux, lieutenant dans l’armée anglaise, pour l’épouser et le suivre sur le continent près des champs de bataille. Son mariage fut une déception, encore plus quand elle a appris après la mort de son mari qu’il était déjà marié et que donc son propre mariage n’était pas valable. Sans argent et rejetée par sa belle-famille, elle cherche un moyen de rentrer en Angleterre. Elle croise la route de Ross, major blessé qui s’évanouit après avoir sauvé la vie d’un enfant : elle en profite pour se faire passer pour sa femme et faire la traversée près de lui, tout en le soignant.

En débarquant en Angleterre, elle découvre que le Major Ross est en réalité Lord, et qu’il a hérité du titre de baron. Attiré par Meg, et voyant qu’elle a besoin d’argent, il lui propose d’être sa gouvernante. Sans référence pour trouver un travail, Meg n’a pas d’autre choix que d’accepter, mais devenue amère par son expérience des hommes elle refuse de se donner à lui.

La suite de l’intrigue ne propose aucune surprise ni rebondissement. C’est longuet, et la plume de l’auteure, standard, n’offre ni piquant ni humour pour rehausser le tout. Ce n’est pas mauvais, seulement un peu pauvre.

Je pense quand même lire la suite de la trilogie, par curiosité, mais sans en attendre un grand moment de lecture.

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Or

J'ai beaucoup aimé cette romance historique. Les personnages sont très bien construits.

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Argent

un livre avec plein d'humour, je me suis franchement amusé en le lisant ^^ a lire

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Lu aussi

C'est mon premier roman du genre, et je n'ai pas été déçue! Je trouve que l'auteur a trouvé le juste équilibre entre l'historique et la romance... Il m'a donné envie de découvrir les autres tomes de cette série.

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Date de sortie

Les sœurs Shelley, Tome 1 : Le frisson de la passion

  • France : 2011-10-01 (Français)

Activité récente

Deby25 l'ajoute dans sa biblio or
2022-11-13T06:52:35+01:00
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