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Les Croz, Tome 1 : La Malédiction de Kalaan



Description ajoutée par Martha 2015-10-30T10:14:09+01:00

Résumé

Égypte, 7 novembre 1828

Kalaan Fébus, comte de Croz, ainsi que l’éminent savant Jean-François Champollion, se retrouvent à l’improviste sur les rives de l’antique cité de Tell el-Amarna. Pour le jeune noble, c’est la providence qui frappe à sa porte en la personne de Champollion, l'unique être qui puisse déchiffrer les hiéroglyphes qui figurent sur le mur d’entrée du mystérieux édifice que Kalaan vient de découvrir.

Providence, vraiment ? Car le comte, après s’être introduit dans l’étrange construction, est touché de plein fouet par une malédiction. Dès lors, il ne lui reste qu’une seule solution pour contrer l’infâme punition des dieux antiques : rentrer chez lui en Bretagne et aller trouver le gardien des pierres.

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Classement en biblio - 31 lecteurs

extrait

— Je me réjouis que le destin nous ait enfin réunis en ce pays, cher Kalaan ! lança Jean-François Champollion, deux heures après leur rencontre inopinée à Tell el-Amarna et après avoir fait succinctement le tour d'une partie des nombreux vestiges, d'abord avec les membres de son corps expéditionnaire, puis uniquement en compagnie du comte.

Il reprit après un instant de silence :

— Ces ruines sont telles que les a décrites le père jésuite Claude Sicard dans ses lettres de 1714, ainsi que le rapport d'il y a trente ans de monsieur Jomard1 : une véritable désolation. Il y a fort à penser que cet état s’est encore accentué avec les nombreux pillages qui font rage sur les vieux sites. Mes collègues et moi-même avons pu noter que le temps n'est pas le seul fautif quant à la destruction des vestiges ; des hommes et leurs pioches ou marteaux ont largement contribué à ce délabrement. C'est un vrai saccage ! Il ne reste rien à relever et les quelques reliefs, hiéroglyphes ou morceaux de statues que nous avons aperçus, ont tous été sévèrement abîmés.

— Depuis deux jours que je suis ici, j'ai fait le même constat, soupira sombrement Kalaan, ses yeux vert ambré parcourant avec dépit les ruines et les falaises abruptes de roche calcaire qui s'élevaient vers l'est, juste au-dessus de ce qui avait été très certainement les bases d'une vaste cité de l'Égypte antique. Rien de nouveau sur l'identité de cet Akhénaton ?

— Non, mon ami, et cela me chagrine quelque peu, répondit d'un ton las Champollion, tout en pinçant les lèvres. Il m'est réellement impossible de situer ce mystérieux personnage dans la longue liste des rois, reines ou pharaons. J'avoue en arriver à penser comme mes confrères, qui assurent que cet Akhénaton serait en réalité une femme. C'est tout de même étrange... c'est comme si le monde avait voulu effacer toute trace d'elle, ou de lui, et de son règne, si règne il y a bien eu.

D'un air rêveur, Jean-François sortit de la poche de son pantalon un objet blanchâtre, qui attira la curiosité du comte de Croz.

— Qu'est-ce donc ?

— Hum ? fit Champollion d'un air distrait en relevant la tête et en dévisageant Kalaan. Oh ! Cela ? Un simple fragment calcaire cristallisé, parfaitement poli de fait. De par sa forme, nous supposons qu'il ait pu appartenir au genou d'une statue, plausiblement à l'effigie d'une femme, ce qui confirmerait qu'Akhénaton faisait partie du sexe faible. Là encore, nous ne le saurons peut-être jamais.

— Peut-être... ou peut-être pas, répéta Kalaan, sibyllin. Avez-vous omis que je souhaite vous faire partager l'une de mes récentes découvertes ? Et si je vous annonçais qu'elle pourrait apporter de nombreuses réponses à nos questions ?

Champollion marqua son incrédulité et ses yeux bruns pétillèrent d'un vif intérêt. Cependant, Kalaan tournait déjà les talons sans plus aucune autre explication et se dirigeait vers les berges du Nil, où étaient amarrés les bateaux. Le filou ! Il était si certain d'avoir réussi à éveiller la curiosité de son confrère qu'il ne doutait pas un instant que ce dernier le suive !

Mais comment ne pas marcher dans ses pas ? Kalaan en imposait de par son aura charismatique et dominante, tout comme par son allure. Il était doté d'une impressionnante stature, et évoluait dans les ruines de Tell el-Amarna à l'instar d'un félin se prélassant sous l'astre du jour. Il était vêtu d'une tunique de lin blanc, d'une culotte moulante de daim clair et de bottes hautes en cuir épais. Il fallait bien cela pour se protéger des attaques des serpents et scorpions qui proliféraient dans les parages.

Champollion s'était prémuni des rayons du soleil à l'aide d'un simple chapeau de paille ; quant à Kalaan, il avait plutôt opté pour un chèche2 noir qui ne gâchait en rien son port altier, bien au contraire, il le rehaussait. Le tissu masquait une chevelure d'un châtain foncé aux mèches dorées par le soleil, plus longue que le voulait la mode de l'époque, et maintenue sur la nuque par un simple lien de cuir.

Si son visage ne correspondait pas aux critères classiques des canons de l'époque qui voulaient que les hommes soient à la limite féminisés – son menton étant peut-être trop carré, sa bouche aux lèvres trop charnues, ses traits intensément masculins –, il n'en restait pas moins que Kalaan était l'un des spécimens les plus beaux du moment... et des plus courus.

Il avait le front large, barré d'une sempiternelle mèche qui lui conférait un air rebelle ; ses sourcils plus sombres affichaient tour à tour la détermination, la moquerie, ou l'agacement le plus profond. Son regard séducteur, aux iris d'un vert ambré et changeant, déstabilisait souvent ses interlocuteurs par son magnétisme. Kalaan était un adversaire redoutable pour ses homologues masculins et pour les femmes, le plus adulé des libertins.

Loin des aristocrates-porcelaine qui cultivaient leur pompeuse et fine physionomie en ne faisant rien de leurs dix doigts, Kalaan ne ménageait pas ses efforts pour creuser la terre, soulever des roches, et porter de lourdes charges à l'instar des ouvriers qu'il employait sur les lieux de fouilles. Ce qui lui avait valu un corps magnifiquement proportionné, athlétique, et le surnom décerné par ses hommes de « lion d'Égypte ».

En une demi-heure à peine, après avoir rejoint le campement sur la rive est du Nil, le jeune comte se débarrassa de l'ensemble des membres du corps expéditionnaire de Champollion, dont ses amis les plus proches : Ippolito Rosellini3 et Nestor L'Hôte4.

Son attitude énigmatique finit par porter sur les nerfs du linguiste.

— Tout ce mystère entourant votre découverte me rend, si je puis m'exprimer ainsi, extrêmement fébrile, murmura Champollion, état que corroboraient ses yeux bruns brillants d'exaltation. Mon ami et confrère italien Rosellini se doute bien que nous n'allons pas inspecter un simple « trou » dans le désert, comme vous venez de le lui laisser entendre.

— Infesté de serpents et de scorpions, ajouta Kalaan, moqueur, de sa chaude voix de baryton.

Ippolito Rosellini avait fortement pâli sous son hâle à la suite des propos de Kalaan et n'avait plus insisté pour les accompagner, malgré l'immense curiosité qui le tenaillait, tout comme Nestor L'Hôte. Pourtant, ce n'était pas le premier site, ni le dernier, que ces deux hommes visitaient avec Champollion, et des reptiles, ils en avaient aperçu plus souvent qu'à leur tour.

Jean-François rit et jeta un regard par-dessus son épaule. Ses collègues affichaient un air désappointé et ne les quittaient pas des yeux, tout en embarquant à contrecœur sur l'Horus où le comte de Croz les avait conviés à un rafraîchissement.

Pour vous désaltérer et vous mettre à l'abri de la chaleur, leur avait poliment proposé Kalaan.

Ruse et diversion que tout cela, et Champollion trépignait d'impatience de poser les yeux sur la troublante découverte qui ne souffrait d'aucune autre présence que la sienne.

Kalaan et Jean-François montèrent dans une felouque pour traverser le Nil et atteindre la rive ouest où les attendaient Salam – fidèle ami touareg de Kalaan –, P'tit Loïk – le bras droit du comte qui le suivait dans toutes ses expéditions – et ses hommes de main.

— Vraiment... un trou, se moqua encore Jean-François en prenant place dans l'embarcation.

Kalaan darda sur lui un regard énigmatique, un mince sourire narquois étirant ses lèvres charnues, puis manipula la bôme et la barre de leur petit bateau pour l'orienter dans la bonne direction.

Ses gestes étaient posés, sûrs. On aurait dit que le comte avait fait cela toute sa vie – bien qu'il n'eut que trente ans – et, à le voir ainsi, aussi aguerri à la navigation, personne n'aurait pu mettre en doute ses origines bretonnes.

Il n'était un secret pour personne que le jeune comte, en sus d'être un égyptologue renommé, avait été corsaire. D'abord au service de Napoléon Bonaparte – alors qu'il n'avait que quatorze ans –, puis à celui de Louis XVIII et Charles X, suite à la Restauration de 1814, qui avait vu le retour à la souveraineté monarchique de la Maison de Bourbon.

Kalaan marchait sur les pas de son père, corsaire avant lui, tout du moins en ce qui concernait l'époque de l'Empereur ; car l'ancien comte de Croz avait disparu en mer lors d'une périlleuse mission contre les Anglais, bien avant de voir revenir sur le trône un nouveau roi de France.

Un corsaire, oui, c'est bien ainsi qu'apparaissait Kalaan dans l'esprit de Champollion qui ne cachait nullement son admiration. Il l'imaginait sans peine debout et fier à la barre de sa frégate, imperturbable sous les trombes d'eau saline qui s'abattaient sur lui, tandis qu'il affrontait les éléments déchaînés d'une puissante tempête.

Ils s'étaient croisés plusieurs fois à Paris, couramment au musée du Louvre. La dernière rencontre était survenue lors de l'inauguration du musée royal Charles X, où huit nouvelles salles avaient été aménagées dans l’aile sud de la cour carrée, entièrement consacrées aux antiquités égyptiennes et gréco-romaines.

À ce moment-là, Jean-François buvait comme du petit lait les paroles du comte de Croz revenant d'une énième expédition en Égypte, tandis que lui, le « déchiffreur des hiéroglyphes », rêvait avidement de découvrir cette terre qui l'attirait comme un aimant. Rêve qui se dérobait sans cesse, alors qu'il pensait le toucher du bout des doigts.

C'était chose faite, enfin ! Champollion vivait son aventure en savourant chaque seconde qui passait. La somptueuse Égypte semblait lui ouvrir les bras et le ravissait toujours plus de son histoire riche en mystères.

Et voilà qu'en ce jour du 7 novembre 1828, l'adrénaline fusait à nouveau dans ses veines et que la fébrilité le gagnait, dans l'attente de prendre connaissance de ce que Kalaan désirait garder secret.

N'y tenant plus, Jean-François posa des questions en rafale, et ne s'arrêta de parler qu'en constatant qu'il n'avait aucunement laissé l'opportunité de répondre au comte de Croz, qui dardait sur lui un regard amusé. Si, bien entendu, ce dernier avait daigné lui répondre. Mais non...

L'embarcation s'ébranla alors que sa coque glissait en crissant sur le sable de la rive ouest. Ils étaient arrivés à destination et déjà, les hommes de Kalaan se dépêchaient de tirer la felouque à terre. Ils aidèrent Champollion à prendre pied au sol, tandis que Kalaan – qui avait sauté dans l'eau avant l'accostage – s'éloignait vers la zone désertique et aride qui se profilait par-delà le bandeau végétal.

Le comte de Croz était bel et bien un noble, mais n'en avait aucunement les manières et encore moins la politesse qui l'aurait obligé à attendre son invité. Seul Salam, le ténébreux ami touareg de Kalaan, et P'tit Loïk, le costaud bras droit du jeune aristocrate, ayant la cinquantaine passée, se tenaient présents à ses côtés. Ils échangèrent des coups d’œil ennuyés. L'attitude peu courtoise de Kalaan les mettait de toute évidence mal à l'aise.

— P'tit Loïk, salua Champollion en serrant chaleureusement la large main de ce dernier. Quel plaisir de vous revoir !

— Moi de même, répondit tout aussi affablement le vieux loup de mer. J'suis bien content qu'vous soyez ici. Plus vite vous sortirez le môme de ce trou, plus vite on rentrera. J'en oi assez de boustifailler du sable.

Champollion ne put s'empêcher de s'esclaffer face au franc-parler de P'tit Loïk, ce petit père à la chevelure grisonnante, aux joues rebondies, à la panse bien tendue et au sempiternel pantalon tombant. Il formait, avec Kalaan, un étrange duo d'inséparables. Jean-François toussota pour reprendre contenance et posa son regard sur Salam, que P'tit Loïk s'empressa de présenter.

C'était ce que l'on appelait un « homme bleu »5, d'une impressionnante stature, habillé de la tête aux pieds du traditionnel long vêtement dénommé takakat6 et du chèche indigo. Le tissu sur le visage ne laissait apparaître que ses insondables yeux sombres légèrement en amandes, ses cils noirs et fournis, ainsi que ses sourcils bien dessinés.

L'homme était lourdement armé de sa takouba7 (uniquement visible par sa poignée en forme de croix) qui dépassait d'un fourreau de cuir brun maintenu à la taille, d'une lance, et d'un bouclier en peau de chèvre. Nul doute qu'il portait également, sous le tissu de sa manche gauche, et attaché à son bras, le poignard touareg appelé telek.

Jean-François fut saisi d'une pensée subite qui le troubla l'espace d'un instant en songeant au comte et à l'homme bleu : « Dieu a réuni la lumière et les ténèbres autour de moi, la première en Kalaan et les suivantes en Salam. Serait-ce un signe du destin ? »

— Salam aleikoum (Que la paix soit sur toi), prononça le Touareg en arabe et non en berbère8, d'une voix riche et gutturale, tout en courbant la tête dans un salut révérencieux.

— Wa 'aleykoum asalam (Que la paix soit aussi sur toi), lui retourna Jean-François qui parlait couramment l'arabe.

Leurs échanges s'arrêtèrent là, et suite à un signe de main de Salam, le trio prit la direction qu'avait empruntée Kalaan peu de temps auparavant.

La chaleur de ce côté du Nil était étrangement plus pesante que sur la rive est et les ruines de Tell el-Amarna. Jean-François en souffrit instantanément. Il réajusta son chapeau de paille, épongea fébrilement son visage moite à l'aide d'un mouchoir et le plaqua ensuite sur son nez et ses lèvres pincées. P'tit Loïk, à sa droite, paraissait plus éprouvé que lui et menaçait de manquer d'air à chacune de ses lourdes foulées.

Plus ils avançaient en quittant la végétation et les sols plans, plus ils approchaient de la fournaise des dunes, et plus ils avaient du mal à évoluer, leurs pieds s'enfonçant dans le sable fin comme si celui-ci cherchait à briser leur volonté d'aller plus loin.

Ce sable... Il s'infiltrait partout et était une véritable calamité. Il était dans la bouche en la rendant pâteuse et faisait crisser les dents, dans les yeux qui larmoyaient pour se libérer des irritants intrus, dans les habits devenus rêches, et même dans les bottes qui devaient servir de protection et contribuaient maintenant à la torture des corps. À chaque pas en avant, le désert venait prendre son dû, et soumettait les hommes à ses vicieux supplices.

Une centaine de mètres plus loin, ils rejoignirent enfin le comte de Croz qui avait daigné les attendre et qui, après avoir baissé le pan du chèche qui masquait le bas de son visage, proposa une outre à son ami égyptologue.

— Buvez, ce n'est pas le moment de tomber foudroyé sous le coup d'une insolation. Toi aussi P'tit Loïk, gronda-t-il encore en avisant le piètre état de son vieil ami. Nom de nom, la prochaine fois, tu m'écouteras et resteras sur le bateau !

— J'oi promis à ta mère que je quitterais point tes s'melles fiston !

— Lui as-tu également promis de mourir de nigauderie ? Bois !

Champollion accepta l'eau bienfaitrice de bon cœur malgré sa désagréable tiédeur et, après s'être désaltéré, tendit vivement l'outre au loup de mer. Après s'être à son tour abreuvé, le vieil homme désigna la gourde à Salam qui déclina son geste en secouant légèrement la tête.

— Pour sûr, grommela P'tit Loïk, le guerrier bleu, on l'engueule point, hein !

— Salam est du pays, rétorqua Kalaan d'un air crispé, comme si cela faisait la centième fois qu'il proférait ces mots. Sa résistance à la chaleur ne peut se comparer à la tienne.

De son côté, Jean-François ne manquait pas d'afficher une certaine curiosité pour l'homme bleu, ce dont se rendit compte Kalaan qui sourit, avant de reprendre la parole :

— Salam a voulu vous accueillir honorablement en se parant comme lors d'une grande cérémonie. Il se serait vêtu de blanc, pour plus de révérence à votre égard, malheureusement... son paquetage ne contient plus que du basin indigo.

— Je l'en remercie, fit Champollion inexplicablement touché par tant de déférence, alors qu'il se sentait l'âme d'un petit homme de rien du tout.

Idée erronée qu'il avait de lui, tandis que le monde des chercheurs le vénérait et le jalousait en même temps pour avoir été le premier à déchiffrer les hiéroglyphes.

Pour Salam, il était un grand parmi les grands.

— L'endroit se trouve juste à quelques pas, annonça Kalaan en pointant son doigt vers une étendue de hautes dunes.

La fournaise était désormais insoutenable et d'étranges volutes mouvantes s'élevaient dans les airs, rendant floue la vision panoramique sur des lieues à la ronde.

Soudain... un son insolite à figer le sang se fit entendre. Puis un second, ressemblant à une plainte sourde, immédiatement suivi par un autre. Une onde acoustique puis une nouvelle encore.

Là ! Le bruit changeait de nouveau, se transformait à peu de chose près en percussions de plus en plus fortes, comme émises par un tambour. Non ! Voilà que c'était à nouveau une plainte vrombissante !

— C'est ce que nous nommons « le chant des dunes9 », l'informa Salam en français, avec l'accent prononcé et riche de sa langue berbère. Les anciens disaient souvent que ces chants appellent la mort ou l'annoncent.

Champollion frissonna violemment de la tête aux pieds, non pas de froid, mais... de peur.

D'une peur qui ne le quittait plus depuis quelque temps. Celle de l'heure de son trépas qui arriverait avant qu'il ne puisse accomplir intégralement son voyage, l'empêchant de découvrir tout ce que le monde avait encore à lui offrir.

— Ce ne sont que des légendes, Jean-François, le rassura Kalaan. Ces bruits se produisent lorsque le vent caresse de son souffle les dunes, ou quand nos pieds s'y enfoncent et provoquent de petites avalanches de sable. Mais je peux comprendre votre effarement, je l'ai également vécu la première fois que ce phénomène m'a touché de plein fouet. Y allons-nous ? enjoignit-il sans plus se soucier du trouble de son ami, et en faisant volte-face pour reprendre sa marche forcée.

À nouveau, il ne les attendait pas. Champollion se secoua mentalement pour se soustraire à ses pensées morbides et ordonna à son corps réfractaire de suivre le jeune noble.

— Morbleu oui, l'a tremblé comme une femmelette, marmonna P'tit Loïk pour n'être entendu que de Champollion qui étouffa son rire dans une toux, au moment où Kalaan reprenait la parole :

— La peur peut être respectable quand elle nous pousse à faire les bons choix ! lança-t-il par-dessus son épaule. Seuls les fous et les imbéciles ne peuvent le comprendre.

— Et vous, cher ami ? Existe-t-il quelque chose qui vous effraie ? Vous avez l'apparence d'un roc, à tel point qu'il m'est difficile de concevoir que vous puissiez éprouver une telle émotion.

Kalaan éclata d'un puissant rire de gorge et se retourna pour plonger son regard vert ambré dans celui de Champollion.

— Si je vous avouais ce qui me donne des sueurs froides, vous ne me croiriez pas.

— Dites toujours ? À moins que cela ne doive rester confidentiel ?

— Oui là, nous sommes tout ouïe, renchérit d'un ton sucré le vieux marin que Salam considérait de haut.

Les lèvres de Kalaan affichèrent une moue cynique, presque amère.

— Je n'ai de secrets pour personne. Eh bien, puisque vous voulez savoir, voici ce qui me terrifie au plus haut point : les femmes !

Champollion, la mine ébahie, pensa avoir mal entendu, puis s'esclaffa un instant, avant de recouvrer son sérieux devant l'air dépité de l'apollon chéri de ces dames. P'tit Loïk, lui, ne se gêna guère pour rire bruyamment tout en se frappant le genou de la main. Quant à Salam, il hocha simplement la tête sans émettre un son.

Le comte ne badinait pas ! comprit Champollion avec ahurissement.

Lui ? Ce libertin et coureur de jupons patenté, il avait peur des femmes ? L'annonce était tout bonnement invraisemblable !

— Je ne supporte plus leurs piailleries, leurs minauderies, leurs futilités et leurs fourberies. Elles sont toutes les mêmes, se valent toutes ! À l'exception de ma sœur Isabelle et de ma mère, maugréa-t-il encore sur un ton d'excuse en songeant à ces dames. J'en suis arrivé au point où je pourrais me faire curé tant je les exècre !

— Vous plaisantez, n'est-ce pas ? souffla Champollion.

— Nullement ! J'ai dû les aimer, un temps, ou tout du moins les apprécier. Cependant, je m'en suis lassé et ne vois plus en elles que de la fausseté et de l'hypocrisie à revendre. Oh ! Je ne suis guère un moine, elles me servent... pour la bagatelle, je l'admets en toute humilité. Mais cela s'arrête là.

Jean-François crut déceler un éclat d'humour dans les yeux sombres de Salam qui ne pipait toujours mot, et il se mit à réfléchir aux paroles du comte de Croz.

C'était un fort bel homme, riche et libre, ce dont toutes les matrones de la noblesse française devaient être au fait. Kalaan subissait certainement le défilé à sa porte de toutes les jeunes filles à marier de France et de Navarre. On disait également qu'il était un excellent amant, et là, c'était l'ensemble des femmes mal mariées ou veuves qui devaient accourir pour l'épingler à leur propre tableau de chasse.

De ce point de vue là, oui, le sexe faible avait quelque chose d'effrayant. Jean-François pouvait désormais comprendre et ajouter foi aux propos de Kalaan. D'un autre côté, il aurait souhaité ressentir une peur égale à celle de son ami : tout, plutôt que celle d'un trépas précoce.

— Le tombeau se trouve juste à nos pieds, annonça soudain le comte de Croz, tirant Champollion de ses sombres pensées.

Un tombeau ?

Mais... où ?

Ils se tenaient sur la crête d'une haute dune, et rien à la ronde ne venait confirmer les dires de Kalaan.

Cependant, en suivant le regard que ce dernier portait en contrebas, Jean-François ne put s'empêcher d'émettre une exclamation de surprise : là, au pied de la colline, des montants de pierre, indubitablement de construction humaine, avaient été mis à jour et délimitaient clairement l'entrée d'un mausolée. Celui-ci était partiellement dégagé de sa gangue terreuse ancestrale, et parfaitement invisible aux yeux de tous ceux qui se tenaient sur la berge de Tell el-Amarna.

La voix de baryton de Kalaan perça le silence revenu :

— Le désert dissimule jalousement ses secrets et la nature, par caprice ou facétie, s'amuse à le titiller en soufflant des tempêtes pour révéler au monde actuel ce qui n'aurait, en aucune façon, dû réapparaître. Nous sommes les premiers à poser les yeux sur cet édifice depuis des temps immémoriaux. Il n'a jamais été cartographié par Sicard, ni par les scientifiques qui étaient présents lors de la campagne d'Égypte10, ni par Belzoni11 et encore moins par l'immonde consul de France Drovetti12, ce dont je me suis assuré. Nous sommes là devant une très grande découverte !

— Ou devant un immense fléau..., fit sourdement Salam, plus ténébreux que jamais. Cette tombe n'en est pas une, insista-t-il une énième fois depuis qu'ils avaient découvert l'endroit un jour plus tôt. Nul pharaon, reine, prince ou haut dignitaire ne repose ici.

Champollion fut pris de tremblements incoercibles. Les paroles alarmantes du Touareg faisaient écho au mauvais pressentiment qui l'avait soudainement saisi.

— Jean-François est là pour affirmer ou infirmer tes propos, marmonna Kalaan en fronçant les sourcils. Pourquoi avoir bâti cette construction si loin de Tell el-Amarna..., ajouta-t-il pensivement, comme pour lui-même.

— Pour que les hommes n'viennent pas piétiner dans l'coin, grommela P'tit Loïk, très nerveux lui aussi. On r'tourne au bateau, fiston ?

— Non ! trancha Kalaan, têtu.

— Cet édifice est ici pour préserver les êtres vivants de ce qu'il abrite, intervint abruptement Salam.

Kalaan darda sur son ami touareg un regard lourd et finit par reporter son attention sur Jean-François, avant de reprendre la parole :

— Cher ami, vous voilà le seul à pouvoir nous apprendre ce qu'il en est réellement. Pouvez-vous nous traduire les hiéroglyphes dessinés sur la porte, qui renferment les réponses à nos questions ? Grâce à vos études et catalogues, je puis me débrouiller quelque peu ; cependant, je ne suis qu'un novice. Le ferez-vous ?

L'égyptologue n'hésita qu'un court instant, car il fallait bien qu'il se l'avoue malgré son malsain pressentiment : il éprouvait la même euphorisante curiosité que Kalaan et il voulait aller jusqu'au bout de cette nouvelle aventure, même si elle était source de tous les dangers.

— J'en trépigne d'impatience, annonça-t-il d'une voix forte et néanmoins chevrotante. Allons-y !

— Que Dieu ait pitié d'nous, marmonna P'tit Loïk avant de dégringoler sur les fesses la pente qui menait devant l'énigmatique édifice.

1Edmé François Jomard : Ingénieur-géographe et archéologue, membre de l'expédition égyptienne de Bonaparte en 1798.

2Chèche : Foulard d'environ 4 à 8 mètres de long, porté notamment par les Touaregs, enroulé sur la tête et le visage, pour se protéger du soleil et du vent sec du désert

3Ippolito Rosellini : Égyptologue italien du XIXe siècle, collaborateur et ami de Jean-François Champollion.

4Nestor Hippolyte Antoine L’Hôte : Égyptologue, dessinateur et ami également de Jean-François Champollion.

5Homme bleu : Autre nom donné au Touareg.

6Takakat : Traditionnel long vêtement chez les Touaregs.

7Takouba : Épée droite à double tranchant des Touaregs.

8Berbère : Langue courante des Touaregs.

9Chant des dunes : Phénomène bien connu, déjà relevé dans les récits de Marco Polo.

10Campagne d'Égypte ou expédition d'Égypte : Expédition militaire en Égypte menée par le général Bonaparte et ses successeurs de 1798 à 1801.

11Giovanni Battista Belzoni (1778-1823) : Explorateur italien et pionnier de l'égyptologie, surnommé « Le merveilleux géant de Padoue ».

12Bernardino Drovetti (1776-1852) : Consul de France en Égypte. Voleur, aventurier sans foi ni loi, ou soi-disant protecteur des trésors égyptiens, cet homme est certainement tout cela à la fois.

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Commentaires récents

Or

On retrouve ici une suite des enfants des dieux d'une autre saga du même auteur. Les personnages sont attachants, écrit avec une certaine dose d'humour, un vrai régal

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Diamant

Ravie de retrouver la plume de l'auteur, j'ai juste été un peu déçu sur la "quantité" d'humour apportée à l'histoire

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Argent

Quel plaisir de retrouver la plume de Linda ! On vas de surprises en surprises et l'histoire est super. J'ai adorée Lalanne et son caractère de cochon et j'ai beaucoup aimé ses proches et Clovis.

Un vrai plaisir.

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Argent

http://fantasybooksaddict.blogspot.fr/2018/04/les-croz-tome-1-linda-saint-jalmes.html

J'ai, tout de suite, adoré retrouver la plume magnifique et pleine d'humour de l'auteure. Elle réussie sans peine à nous faire voyager entre l’Égypte et la Bretagne. Ses descriptions nous donnent la sensation d'être aux côtés de Kalaan dans le désert avec sa chaleur étouffante ou dans les côtes sauvages balayées par la mer et les vents. Elle nous décrit parfaitement ce contraste saisissant et nous transporte sans problème dans un autre siècle grâce aux recherches qu'elle a effectué pour être le plus crédible possible ! Pari réussi !

Par ailleurs, avec la malédiction, Linda nous emmène là où on ne l'attend pas (quoi que j'aurais dû m'en douter vu son humour ! XD). En effet, je suis peut être un peu sadique mais je m'attendais à une malédiction plus sombre, plus « violente ». Sur le coup, cela m'a déçu mais l'auteure arrive à tirer sans mal son épingle du jeu avec cette malédiction peu commune, que je ne vous développerais pas davantage de peur de vous gâcher la surprise ! Je peux juste vous certifier que vous allez beaucoup rire car elle n'est pas de tout repos, et l'entourage de Kalaan, ne va pas non plus lui faciliter la tâche ! J'ai aimé découvrir les deux femmes de sa vie, sa mère, Amélie et sa sœur, Isabelle, qui va semble-t-il être encore plus présente dans le prochain tome ! A travers elles, l'auteure nous montre que les femmes de la haute société du XIXème siècle, ne sont pas forcément telles qu'on pourrait l'imaginer. Au contraire, elles ont du caractère et ne manquent pas de répartie, tout comme Virginie ! Le mystérieux Salam m'a fasciné tandis que Kalaan et Catherine m'ont beaucoup amusé car ils sont assez brutes de décoffrage lol.

Cependant, il y a un petit bémol avec l'histoire d'amour entre Kalaan et Viriginie. Elle m'a paru trop soudaine. Certes, Virginie est amoureuse de lui depuis très longtemps mais ce n'est pas le cas de Kalaan, qui la surnommait « bouboule », étant plus jeune… De plus, Virginie ne cesse de trouver que Catherine agit de manière téméraire alors que c'est une jeune femme de bonne condition. Je la trouve mal placé pour juger car elle n'hésite pas à se donner à Kalaan, lors de leur troisième rencontre, après des années de séparation…

D'autre part, j'ai beaucoup apprécié que Linda aborde l'attirance entre deux personnes du même sexe.

Elle fait aussi le lien avec sa précédente saga à travers le clan des Saint Clare. Je ne sais pas si c'est parce que je n'ai lu que les deux premiers tomes des Enfants des dieux pour l'instant, mais je ne suis pas certaine encore d'avoir réussi à replacer Dorian dans la lignée des Saint Clare. Je pense que l'on en saura également davantage dans le prochain opus.

En bref, malgré de petits défauts, ce premier tome est très réussi grâce une intrigue bien ficelée et pleine d'humour ! J'ai hâte de poursuivre la saga surtout après une fin pareille !

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Diamant

Je suis fan de cet auteure et cette nouvelle série est très prometteuse même si elle ressemble aux enfants des dieux. Les protaprotagonistes sont attacattachant, plains de complexité et d'humour. Des sujets extrêmement sérieux y sont abordés. Que dire de plus a part que j'ai hâte de lire la suite.

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Bronze

http://liliandtheworldofbooks.blogspot.com/2016/10/les-croz-1-la-malediction-de-kalaan.html

Je lis très peu de roman historique parce que j'ai souvent du mal à me projeter, mais cette histoire m'a bien plu même si j'ai eu un peu de mal au début.

L'intrigue que nous propose l'auteure est assez intéressante. De plus, elle nous fait voyager en Bretagne ainsi qu'en Égypte. Elle réussit à nous faire voyager grâce aux détails qu'elle nous offre et j'ai trouvé cela fabuleux.

Le plus dans cette histoire, ce sont les personnages. Ils ont un caractère bien à eux et surtout on passe un très bon moment avec eux grâce à leur humour.

Je n'avais encore jamais lu un livre de Linda Saint Jalmes et j'avoue que pour une première, je ne suis pas totalement déçu. Sa plume est fluide, légère et j'ai apprécié son univers.

Pour conclure, l'auteure va vous faire voyager avec son histoire et je suis sûr que vous allez tomber sous le charme des personnages ainsi que tout le reste. Comme je l'ai précisé plus haute, j'ai eu un peu de mal au début, mais rien de grave parce que ensuite j'ai bien compris son univers et cela m'a assez plu.

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Pas apprécié

J'avais vraiment apprécié la Saga des enfants de Dieux, mais là je me suis ennuyée à mourir. Peu d'originalité, descriptions fastidieuses et étalage de mots qui nuit au récit.

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Diamant

Voilà, terminé et direct en liste de diamant. J'aime beaucoup cette auteure qui a le chic de nous transporter si loin dans les aventures qu'elle écrit. Avec les Croz, je n'ai pas été déçue un moment et j'ai sauté sur place à un passage du livre en découvrant une surprise de taille !

Ici, on mélange les histoires entre l'Egypte, la Bretagne, la magie, des personnages toujours aussi attachants. Des surprises en veux-tu en voilà. Et Kalaan ! Mais quelle malédiction ! Je ne m'attendais pas à ça ! C'est très bien trouvé et j'ai beaucoup ri. Vivement la suite.

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Diamant

Un livre absolument génial ! Dans la lignée des romans de l'auteure en faite ^^

Un mélange de mythologie, d’action et de romance, le tout savamment dosé. Des personnages touchants et intrigants qui devront surmonter toutes les épreuves que Linda Saint Jalmes a décidé de mettre sur leur route. Une auteure qui a du talent à revendre, arrivant à nous immerger pleinement dans l'univers qu'elle a créé.

Les Croz est un roman envoûtant qui nous transporte dans les terres arides de l’Egypte pour finalement nous emmener dans la Bretagne pluvieuse. Malédiction, amour, intrigue et meurtres sont au rendez-vous pour garder le lecteur en haleine jusqu’à la toute dernière ligne. Un roman à ne surtout pas manquer !

Mon avis plus détaillé ici : https://didiconseils.wordpress.com/2015/09/30/les-croz-la-malediction-de-kalaan/

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Dates de sortie

Les Croz, Tome 1 : La Malédiction de Kalaan

  • France : 2015-11-23 (Français)
  • USA : 2016-06-08 (English)

Activité récente

Titres alternatifs

  • The curse of Kalaan - Anglais

Évaluations

Les chiffres

lecteurs 31
Commentaires 9
extraits 1
Evaluations 11
Note globale 8.09 / 10

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