Soy

La voilà enfin, je n’ai jamais vu une nana mettre aussi longtemps pour descendre un escalier. Je pense qu’il va falloir suggérer à son père un nouvel investissement : un monte-escalier. Sérieusement, ça pourrait lui être utile, à la descente comme à la remontée, et ça éviterait aux pauvres mecs comme moi de se geler les cacahuètes devant la porte. Non que je sois contre toutes ces scènes de séduction en général, mais ce soir, alors qu’il doit faire environ trois degrés dehors, même mon cuir et le physique de la demoiselle ne suffisent pas à me réchauffer.

Elle est enfin en bas, avance jusqu’à la porte. Derrière la paroi vitrée, elle me sourit, sans bouger, comme une idiote. Elle attend quoi ? Je lui rends son sourire, c’est peut-être ce qu’elle veut. Une sorte de rituel d’entrée. J’ai l’impression d’arriver sur un territoire inconnu, je suis face au membre d’une tribu au dialecte mystérieux et je tente par tous les moyens de communiquer et de me faire comprendre. Surréaliste ! Si ça se trouve, elle se croit à une de ces réunions secrètes, celles où on doit amener un œuf dur ou autre objet insolite pour rentrer, celles pour lesquelles on n’obtient l’adresse qu’en déchiffrant un code énigmatique sur le Net. Du grand délire. Je lui souris, elle continue à me montrer ses jolies dents, agite ses doigts manucurés. Elle se croit au zoo, bon sang. En l’occurrence, sans misogynie aucune, vu le niveau, je ne pense pas être celui qui doit recevoir du pop-corn. Si elle ne finit pas par ouvrir, dans deux minutes, je vais avoir un Esquimau dans le pantalon. En même temps, si jamais elle est en panne de dessert… OK, nous en sommes toujours au même point, sauf que maintenant, elle tourne sur elle-même. C’est quoi le plan ? Elle me mime un truc, il faut que je devine ? J’ai passé l’âge de jouer au Mim Too3 ! Je lui montre la poignée, lui indique aussi comment l’actionner, on ne sait jamais… Elle éclate de rire, pointe un index sur sa bouche, faisant mine de réfléchir.

Putain, ça promet.

Je sors mon téléphone, j’écris sur le bloc-notes :

Vous comptez ouvrir un jour ?

Elle se concentre, c’est quelque chose !

Elle déverrouille, entrouvre à peine, juste pour passer son visage et me dit, convaincue :

— J’attends que vous me disiez que je suis jolie.

Oh mon Dieu ! Elle s’apprête à me claquer la porte au nez, mais cette fois, c’en est trop, je glisse mon pied pour l’empêcher d’aller plus loin, force le passage et ferme derrière moi.

— Vous êtes complètement siphonnée ! lui asséné-je.

Elle écarquille de grands yeux, étonnée.

— Ben quoi, vous pourriez le dire, non ? C’est quand même la moindre des politesses.

C’est avec elle que je serais censé travailler ? Même pas en rêve !