Wicca, Tome 4 : Les retrouvailles

Depuis que Sky est partie, je m’étonne des changements dans la maison. Il y a moins de lessives à faire. Et plus de truc dans le frigo… même si c’est moins appétissant. Le courrier s’empile – pourquoi lui faut-il autant de ces fichus catalogues ?- Et je peux toujours me garer au meilleur endroit, juste devant l’allée. Sans oublier que la maison est calme : il n’y a plus de vibration m’avertissant que je ne suis pas seul, que ma cousine est avec moi.

En parlant de lessive, il faut bien dire que les fringues des mecs sont déprimantes. Je porte des jeans, des T-shirts, des chaussettes, des caleçons. Et ce, jour et nuit, été comme hiver. Les habits de sky sont bien plus élaborés- plein de truc de filles dont j’ignore même le nom. Morgan n’a pas une garde-robe aussi variée. Elle se contente le plus souvent de jeans ou de pantalon en velours, T-shirt ou pulls. Elle met des culottes toutes simples, et jamais de soutien-gorge. (Cool!) C’est drôle – elle n’essaye pas d’être sexy. C’est inutile. Un regard vers elle suffit, et je me rappelle ce que j’éprouve quand elle s’accroche à moi, qu’elle se presse tout contre moi, je me rappelle la douceur de sa peau, son parfum, sa présence, son aura…mes neurones fondent et je deviens incapable de former des phrases correctes. Comme en ce moment.

Je ne me suis toujours pas remis de ce que m’a appris Sky . J’ai passé plus de la moitié de ma vie à rêver de les revoir un jour. Et maintenant que mes supérieurs du conseil international des sorciers m’en ont donné la permission et m’ont aidé à reconstituer leurs déplacements, je suis prêt à partir. Il ne me reste qu’à organiser mon départ.

Alwyn, qui n’avait que quatre ans lorsqu’ils ont disparu, se souvient à peine d’eux. Linden, lui, est mort en tentant de les revoir. Et en échouant. En fait, la tournure des événements me paraît trop énorme. Au fil de toutes ces années, mes parents sont devenus des personnages presque mythiques – les autres sorciers prononcent leurs noms avec respect, curiosité ou mépris, parfois. On me dévissage comme si leur héritage était gravé sur mon front.

C’est à la fois la chose la plus excitante et la plus terrifiante qu’il me soit jamais arrivé. Plus encore que notre accrochage avec Ciran, à New York. Ou que le jour ou Morgan s’est métamorphosée en loup et a failli m’éventrer. Par la déesse, quand je repense à tout ce que nous avons traversé… Je voudrais tellement qu’elle puisse m’accompagner…

Si Sky était là, elle se serait proposée. Mais j’aurais refusé. Elle est toujours fragile depuis sa rupture avec Raven. Son séjour en France lui fera du bien. Cependant, savoir que j’aurais Morgan à mes côtés le jour je reverrais mes parents pour la première fois après une dizaine d’années de séparation aurait vraiment facilité les choses. Elle a l’esprit pratique et elle est si fort qu’elle peut affronter n’importe quoi, ou presque. J’ai tant besoin d’elle…

Morgan m’a rejoint à magye pratique. En entendant la clochette teinter au-dessus de la porte, j’ai levé les yeux et je l’ai vue qui s’approchait de moi, un petit sourire aux lèvres.

Comme je mesure plus d’un mètre quatre-vingt, j’ai l’habitude de me pencher vers les autres, pourtant Morgan semble toujours me regarder droit dans les yeux. En vérité, elle mesure quinze centimètre de moins que moi, ce qui signifie qu’elle est tout de même plus grande que beaucoup d’autres filles. Son beau visage est doté de traits forts et féminins. Ses yeux sont presque effrayants, tant ils paraissent abriter de connaissances, son expression est solennelle et sa bouche généreuse ne se tord jamais pour esquisser des sourires creux ou pour glousser bêtement. C’est l’une des personnes les plus butées, déterminées, susceptibles, réservées et agaçantes que j’ai rencontrées. Je l’aime tant que j’ai les jambes en coton dés qu’elle est prés de moi.

-Coucou, m’a-t-elle lancés

-salut. Allons dans l’arrière-boutique.

Nous sommes passés derrière le rideau orange miteux qui séparait la réserve du reste du magasin. Il est retombé derrière nous et nous nous sommes retrouvés à nous dévisager dans la petite pièce mal éclairée.

Ses cheveux, qui tombaient librement dans son dos, auraient bien eu besoin d’un coup de brosse. Ils cascadaient en vagues emmêlées presque jusqu’à sa taille. Elle n’avait pas boutonné sa veste noir et son jean, aux ourlets effilochés, s’évasait jusqu’à ses mules en cuir. Ses grands yeux brun-vert m’observaient et son nez classique, un peu fort, avait rosi dans le froid. C’était Morgan Rowlands. La fille de Maeve Riordan, dernière prêtresse de Belwicket, et de Ciaran MasEwan, l’un des Woodbane les plus maléfiques que la wicca ait jamais engendrés. Fille adoptive de Sean et Mary Grace Rowlands. L’amour de ma vie.

Poussé par une bouffée de désir soudain, je l’ai attrapée par le col de sa veste pour l’attirer contre moi, j’ai glissé mes mains sous son manteau et dans son dos afin de caresser son pull. J’ai aperçu une lueur de surprise dans ses yeux en amande avant de fermer les miens et de plaquer ma bouche sur la sienne pour l’embrasser avec une fougue qui m’a effrayé et gêné à la fois. Mais la passion de Morgan égalait la mienne. Depuis que nous nous connaissions, elle n’avait jamais reculé sous mes caresses et, cette fois-ci encore, elle ne m’a pas repoussé. Au contraire, elle m’a pris par la taille et m’a rendu mon baiser en se collant à moi, ses pieds plantés entre les miens.

Au bout de je ne sais combien de temps, on s’est enfin séparés. Le souffle court, j’ai du combattre une envie irrépressible de la reprendre dans mes bras. Les lèvres de Morgan étaient rouges et douces. Ses yeux paraissaient fouiller les miens.

-tu m’as manquée, lui ai-je dit, surpris par ma propre voix rauque et essoufflée.

Elle a hoché la tête, tout aussi pantelante que moi.

-viens t’asseoir, ai-je suggéré en la conduisant vers la table en bois décrépie, et nous nous sommes tous les deux effondrés sur les chaises comme si nous venions de finir un marathon. Incapable de lui parler de la pluie et du beau temps, je lui ai serré la main en lui annonçant sans détour la nouvelle :

- je pars samedi pour le Canada, voir mes parents. Elle a écarquillé les yeux et, l’espace d’un instant, elle m’a paru effrayée. Mais cette impression s’est aussitôt dissipée, et je n’étais même plus certain de ce que j’ai vu.

-je m’y attendais, a-t-elle soupiré.

-oui, ai-je répondu dans un éclat de rire bref. Le conseil m’a recontacté ce matin. On m’a carrément donné un itinéraire jusqu’à la maison de mes parents. Tu te rends compte ? Ils pensent que ma mère et mon père y vivent depuis trois mois environ.

Elle a hoché la tête d’un air pensif en évitant mon regard.

-J’y vais en voiture. Il y a au moins onze heures de route. Ils habitent dans un petit village, au nord de Québec. Morgan… tu veux m’accompagner ?

D’abord surprise, elle a eu l’air terriblement tentée

-Je ne sais pas combien de temps j’y resterai, ai-je ajouté en vitesse. Mais si tu dois repartir avant moi, je pourrais t’emmener à l’aéroport, ou à la gare ou même te louer une voiture.

Tout en nous tenant la main au-dessus de la table, nous avons tous les deux imaginé ce que cela signifierait. De longues conversations intimes dans la voiture. Des heures et des heures, ensemble. Jour et nuit. Y compris pour mes retrouvailles avec mes parents, cet événement si important pour moi. Notre relation en serait approfondie. Je voulais tellement qu’elle dise oui…

-je veux venir, a-t-elle articulé lentement. Vraiment. Elle a marqué une pause. Elle s’imaginait sans doute la conversation qu’elle devrait avoir avec ses parents. J’ai gémie intérieurement. Qu’est-ce que je croyais ? Ses parents n’autorisaient même pas que des garçons entrent dans la maison. S’ils avaient autorisé notre escapade à New York, c’est parce qu’une horde de chaperons nous avait accompagnés. Là, il n’y avait aucune chance qu’ils laissent leur fille partir seule avec moi pour le Canada. D’ailleurs, ce serait un voyage bien plus long, bien plus lointain.

Son visaga s’est décomposé et j’ai perçu sa déception, parce qu’elle reflétait la mienne.

-je ne peux pas, a-t-elle repris. Ce n’est même pas la peine d’y penser. Je dois encore rattraper mes mauvaises notes, mes parents sont toujours méfiants, et les prochaines vacances sont encore loin. C’est impossible.

Sa voix trahissait sa frustration.

-Ce n’est pas grave, ai-je murmuré en plaçant mes deux mains sur la sienne. Ne t’en fais pas. Je disais ça comme çà. N’en parlons plus. Nous aurons plein d’autres occasions de voyager, dans le futur. Elle a convaincue, et j’ai regretté d’avoir abordé la question, regretté qu’elle se sente coupable de ne pas pouvoir m’accompagner pour une occasion si importante. Je l’ai dévisagée en attirant sa paume contre mes lèvres pour l’embrasse. Elle a soupiré et j’ai vu la flamme du désir se rallumer dans ses yeux.

P-S: je publirai la suite quand j'aurai fini de l'écrire.

coeurdepierre91