Un cœur en flammes

La nuit était tombée depuis longtemps et ils luttaient toujours, sans répit. Les corps parés à toute épreuve commençaient à faiblir. Mais le moral restait inflexible. De temps à autre, Gull apercevait Rose, maniant la hache ou la tronçonneuse, s'écartant parfois de la ligne pour coordonner les équipes et faire le bilan avec la base.

Vers 1 heure du matin,, plus de douze heures après que les pompiers eurent atterri dans la clairière, le feu commença à mollir. La partie n'était pas gagnée pour autant.

Ils travaillèrent pendant encore une heure, jusqu'à ce que le mot circule : ils allaient bivouaquer à quelque cinq cent mètres du flan droit de l'incendie.

- Alors, cette première journée de turbin, bleu ?

Gull se tourna vers Cards, qui gravissait péniblement un raidillon à ses côtés.

- Je crois que je vais demander une augmentation.

- Un sandwich au jambon, et je serai le plus heureux des hommes.

Ceux qui étaient déjà arrivés au camp montaient les tentes ou bien, assis par terre, dévoraient des rations instantanées.

Rose étudiait une carte étalée sur un rocher, près du feu de camp, en croquant une pomme. Elle avait enlevé son casque. Ses cheveux paraissaient presque blancs à côté de son visage noir de suie. Elle restait néanmoins superbe, d'une beauté à donner le frisson.

Gull posa son matériel, étira son dos et ses épaules, avec un petit pincement de nostalgie à la pensée de la Boîte. Il s'assit ensuite avec les autres autour du feu de camp et mangea comme un ogre.

On leur avait parachuté des outils, des lances, des repas lyophilisés, des bouteilles d'eau minérale et - béni soit celle ou celui qui avait eu cette merveilleuse idée ! - un carton de pommes et un autre de barres chocolatées.

Il engloutit sa ration, deux pommes, une barre chocolatée, puis en glissa une dans son sac à dos. La vague nausée qu'il avait éprouvée durant la marche jusqu'au camp lui passa sitôt qu'il fut rassasié. Il se leva et tapa sur l'épaule de Rose.

- Je peux te parler une minute ?

Elle se redressa sans vraiment lui prêter attention, visiblement préoccupée, et le suivit dans l'ombre, à quelque pas du feu de camp.

- Qu'est-ce que tu veux ? J'ai encore du boulot, moi. On va...

Il l'attira contre lui et l'embrassa à pleine bouche, tout à coup débordant d'énergie, oubliant ses muscles endoloris, happé par une vague de désir. Elle lui rendit son baiser avec la même fougue, la même avidité, cramponnée à ses hanches, à ses cheveux, pressant son corps de déesse contre le sien. La plus belle récompense après cette dure journée de labeur.

Il s'écarta enfin d'elle et observa son visage, les mains sur ses épaules.

- C'est tout ce que tu avais à me dire ? demanda-t-elle.

- Loin de là, mais la suite de la conversation exigerait un peu plus d'intimité. De toute façon, ça devrait te suffire pour ce soir.

- Me suffire ? répliqua-t-elle avec une lueur malicieuse dans les yeux.

- Le commandant des opérations travaille plus dur que les autres. Je voulais juste t'offrir un petit extra avant que tu ailles te coucher.

- Que d'égards...

- C'est normal. Bonne nuit, chef.

il déposa un baiser sur son front noir de suie.

- Tu es un mystère, Gulliver.

- Peut-être, mais pas si dur à percer. A demain matin.

Sous sa tente, il eut tout juste la force d'enlever ses bottes avant de sombrer comme une masse, le sourire aux lèvres.