Agence matrimoniale Prime, Tome 9 : J'ai épousé un incube

— Condamnée Malaya Velasco, vous êtes ici en tant que témoin du Directeur Kronos Aramon. Qu’avez-vous à dire pour défendre ses crimes ?

J’eus un mouvement de recul, complètement décontenancée.

— Ses crimes ? Quels crimes ?

— Vous avez été condamnée à la perpétuité dans le terrain de jeu du Directeur Dakon Kothor. Le jour de votre transfert, le Directeur Aramon vous a volée au Directeur auquel vous étiez affectée. Il a interdit aux gardiens de vous marquer, comme l’exige la loi. Puis, au lieu de vous envoyer dans son Quadrant Obscur pour y purger votre peine, il vous a emmenée chez lui pour y vivre comme son épouse, en contravention avec votre sentence. Seules deux choses peuvent justifier des actes aussi aberrants : des troubles mentaux ou une incompétence morale. Qu’avez-vous à dire pour sa défense, Condamnée ?

Chacune de ses paroles me frappa avec une force extrême. Bien qu’elles soient techniquement vraies, formulées de la sorte, elles se transformaient en quelque chose d’immonde et de complètement détaché de la réalité. La colère et un besoin enragé de défendre Kronos montèrent en moi.

— Avec tout le respect que je vous dois, Doyen, votre évaluation des actions de Kronos ne pourrait pas être plus erronée. Vous affirmez qu’il n’y a que deux options pour les justifier. Je ne suis pas d’accord. Il y a une troisième option et la véritable raison de ce comportement qui, je le concède, semble totalement contraire à sa personnalité et à ses valeurs. Kronos Aramon est l’homme le plus juste et le plus honorable qu’il m’ait été donné de rencontrer. Il a consacré toute sa vie à faire respecter la loi et à défendre la justice. Et c’est dans la poursuite de cet objectif qu’il a entrepris les actions que vous avez énumérées, même si ce n’est pas dans l’esprit sombre que vous avez présenté.

— Êtes-vous marquée ? demanda-t-il.

— Non, je ne le suis pas.

— Avez-vous été amenée dans un Quadrant Obscur pour y purger votre peine ? demanda-t-il.

— Non, répétai-je, agacée par sa stratégie évidente.

— Le Directeur Aramon vous a-t-il emmenée dans sa résidence privée pour vivre à ses côtés en tant que sa conjointe selon les coutumes humaines ?

Tout en grinçant des dents, je me forçai une fois de plus à répondre, attendant l’occasion de contrer ce qu’il essayait de dire.

— Oui, il l’a fait.

— Et pourtant, vous avez été dûment jugée, reconnue coupable et condamnée par un honorable juge obosien...

— Non, je ne l’ai pas été, l’interrompis-je d’un ton cassant.

Des halètements choqués résonnèrent dans la salle de la part des participants de droite, tandis que les treize Doyens du Conclave me dévisageaient avec indignation.

— Vous mentez ? siffla le Doyen.

— Je ne mens pas, répondis-je fermement.

— N’êtes-vous pas une condamnée ?

— Si, je le suis, répondis-je.

— Vous venez de le nier ! s’écria-t-il.

Je relevai le menton d’un air de défi.

— Non, je ne nie pas être condamnée, conformément au jugement que j’ai reçu. Je nie avoir été jugée par un juge honorable. Posez de meilleures questions et vous obtiendrez des réponses plus claires.

Ma dernière phrase fut accueillie par d’autres exclamations. Même si je tiquai intérieurement de voir ma misérable bouche s’emporter à nouveau, je ne me sentais mal que dans la mesure où trop d’impertinence pouvait se retourner contre moi et nuire à la cause de Kronos. Mais je ne pouvais pas supporter une brute ou un tribunal kangourou.

— Faites attention, Condamnée. Vous avez peut-être évité de purger votre peine pour l’instant, mais nous ne sommes pas aussi aveugles, siffla-t-il.

— Sinon quoi ? Je serai accusée à tort d’autres crimes que je n’ai jamais commis ? Vous ajouterez une peine d’emprisonnement à vie supplémentaire au Q4, à purger consécutivement à celle que m’a déjà infligée le juge qui m’a piégée pour meurtre ? Je croyais que les Obosiens étaient les gardiens de la justice.

— Vous osez le remettre en question ? s’exclama-t-il.

— Je n’ai pas d’autre choix que de le faire, rétorquai-je, courroucée, avant de pointer un doigt rageur vers Kronos. Si Kronos est assis là-bas, et que je me tiens devant vous, c’est que vous êtes déjà au courant de mes allégations. Pourtant, dès mon réveil à l’infirmerie, tous les Obosiens que j’ai rencontrés m’ont fait comprendre qu’ils me jugeaient déjà coupable. Et je vois la même condamnation sur votre visage, à la fois quand vous me regardez et quand vous parlez de Kronos. Qu’est-il advenu de l’innocence jusqu’à preuve du contraire ?

— Vous avez été condamnée, répliqua-t-il d’un ton hautain.

Je levai les mains en signe d’exaspération.

— Par un juge corrompu ! Et je ne suis pas sa première victime ! Où est votre système d’appel ? Où est votre contrôle de l’éthique et de la corruption ? Si une telle accusation est portée, vous devriez vouloir enquêter et découvrir la vérité, que ce soit pour prouver son innocence ou mettre fin à sa corruption.

Je pris une profonde inspiration et passai des doigts tremblants dans mes cheveux pour tenter de contenir ma colère bouillonnante. J’en avais assez de répéter les mêmes conneries, encore et encore, pour continuer à me heurter à des gens qui doutaient de moi. Prouver son innocence ne devrait pas être aussi douloureux.

— Croyez-vous que Kronos Aramon voulait épouser une humaine et une condamnée de surcroît ? Lui et moi avons eu cette même conversation peu après notre mariage. Si nous nous étions rencontrés au hasard dans la rue, il ne m’aurait pas accordé le moindre regard. Il n’a accepté de me rencontrer – avec beaucoup de réticence – que parce qu’un Témerne s’était porté garant de mon innocence. Il pensait que me parler confirmerait ma culpabilité, et il m’aurait alors envoyée dans le Secteur du Directeur Dakon avec la conscience tranquille. Vous ne m’avez même pas accordé cette courtoisie. Avez-vous si peur de reconnaître que les Obosiens ne sont pas parfaits ? Que l’un d’entre vous peut être véreux ?

— Vous êtes devant nous, n’est-ce pas ? répliqua le Doyen, s’attirant quelques hochements de tête approbateurs de la part de ses collègues Doyens et de certaines personnes présentes sur les bancs latéraux.

Je fis un signe dédaigneux de la main.

— Pfft. Vous ne me donnez toujours aucune chance. Ce n’est qu’une mise en scène pour le faire tomber, ajoutai-je en pointant une nouvelle fois Kronos. Vous pouvez lire les âmes. Vous pouvez voir que je dis la vérité !

— La seule chose que votre âme montre, c’est de la colère, répliqua-t-il sur le même ton odieux.

— OUI, PARCE QUE JE SUIS EN COLÈRE ! criai-je, surprenant tout le monde, y compris moi-même.

Je fermai les yeux et pris quelques profondes inspirations pour retrouver mon calme. Redressant les épaules, je reportai mon regard sur le Doyen et repris la parole d’une voix maîtrisée.

— Je suis en colère parce que, comme le reste de la galaxie, j’avais autrefois élevé les Obosiens sur un piédestal. Vous étiez l’incarnation de la droiture et de l’honnêteté. La main, les yeux et le cœur de la justice. Et maintenant, je vois que ce n’était qu’un mensonge. Vous êtes comme tout le monde. Vous êtes prompt à condamner les autres pour leurs péchés, mais vous fermez les yeux sur les vôtres. J’attendais... plus. Tellement plus de vous...

— Pourquoi devrions-nous nous ranger du côté d’une condamnée plutôt que de celui d’un juge respecté ? demanda-t-il.

— Personne ne vous l’a demandé. Je vous demande de vous ranger du côté de la vérité, des faits, rétorquai-je. J’ai toujours respecté la loi. Jusqu’à cette affaire, j’avais un dossier impeccable. Je n’ai même jamais eu de contravention pour excès de vitesse. Mais le jour même où je suis censée remettre un dossier compromettant sur Wuras aux Défenseurs, je décide soudain de commettre un meurtre atroce ? Grâce à l’aide des Témernes, j’ai obtenu une seconde occasion d’essayer de prouver mon innocence. Mais le jour où je commence à reconstituer mon dossier, je me fais attaquer par des bêtes venimeuses ? Est-il courant que la demeure d’un Directeur soit attaquée par des bêtes sauvages ? Les Témernes sont-ils connus pour mentir sur l’innocence de quelqu’un ? Croyez-vous sincèrement que Kronos est le genre d’homme qui se laisserait facilement influencer par une meurtrière ?

— Kronos Aramon se remet d’un enlèvement traumatisant. Cela pourrait expliquer son comportement autrement aberrant, dit le Doyen d’un ton dédaigneux.

— Sérieusement ? Après toutes les questions pertinentes que j’ai soulevées, c’est ça l’explication que vous voulez retenir ? Mais c’est moi qui suis malhonnête ? dis-je avec dégoût.

Le Doyen frappa du poing sur la table.

— Vous allez trop loin, Condamnée !